Surélever: mais où et comment?

Les députés viennent de voter une loi acceptant d’une part d’ériger des immeubles plus hauts et d’autre part de surélever certains immeubles en Ville de Genève. Le chef du Département des Constructions et des technologies de l’information pavoise et tous les partenaires (Asloca et Patrimoine suisse) seraient contents. On renouerait ainsi peu ou prou avec la tradition genevoise de la surélévation liée aux refuges, lorsque la Genève d’Ancien Régime, embastionnée, ne pouvait imaginer s’accroître autrement qu’en hauteur. Sommes-nous aujourd’hui dans cette même urgence et tous les mètres carrés sont-ils bons à gagner ? C’est la question qu’il convient de se poser.

 

La ceinture fazyste de Genève, malgré les atteintes subies dans les années 1960’ -1970’ , les années du boom économique d’avant le premier krach pétrolier, qu’il est de bon ton de célébrer dans les instituts de Denkmalpflege des hautes écoles d’architecture, la ceinture fazyste, disais-je, qui a pris place sur les terrains libérés des anciennes fortifications, est un joyau dont les Genevois ne mesurent sans doute pas suffisamment le prix. Conçue selon le plan de Léopold Blotnitzki, un émule du Général Dufour, sa construction a été régie par des cahiers de charge rigoureux. On y précisait alors les alignements des façades, les gabarits minima et maxima, l’importance de la saillie des balcons, les matériaux, la pente des toits. Et chaque propriétaire obéissait aux consignes dans l’intérêt général de l’embellissement de cette ville nouvelle, calquée sur le Paris Haussmanien, qui venait prendre place sur le pourtour de la Haute Ville. Ainsi se sont élevés des rues et des boulevards remarquablement homogènes d’une architecture résidentielle élégante et simple, dont subsistent aujourd’hui encore un certain nombre d’exemples intacts.

 

La pression immobilière qui s’exerce à Genève n’est pas un phénomène si nouveau qu’on veut bien le dire et nombreux sont les immeubles de la ceinture fazyste à avoir déjà  payé leur tribut au phénomène. Au registre de l’occupation des combles on ne compte plus les toitures criblées de lucarnes dites de « régisseur » en batterie,  celles percées de petites lucarnes en verre et métal ou de grosses lucarnes en forme de fenêtres de thermes … Pour produire des logements aux qualités parfois discutables ! 

 

Pierre Bullet, architecte du Roy à la fin du XVIIe s., ne disait-il pas à propos des percements en toiture : « Il n’y a pas d’apparence que ceux qui connoissent la bonne Architecture, puissent approuver les lucarnes; car c’est une partie qui est hors d’oeuvre, & qui ne peut entrer dans la composition d’un bâtiment sans en gâter l’ordonnance, sur tout quand elles sont grandes & en nombre; car outre que cet ouvrage est au dessus de l’entablement, & par conséquent hors d’oeuvre,  il est contre la raison qu’il y ait des ouvertures considérables dans la couverture d’un bâtiment; & puisque cette couverture n’est faite que pour mettre la maison à couvert, & qu’il semble qu’il n’est pas raisonnable qu’il y ait des trous dans une couverture, outre ceux qui doivent donner de l’air & du jour dans les greniers, que l’on appelle oeils-de-boeuf et qui ne gâtent point la figure des toits. »

 

Plus délicat est encore l’exercice de la surélévation qui demande doigté et vraie compréhension de l’esprit du bâtiment sur lequel elle va prendre place. Le succès n’est pas toujours au rendez-vous ! Tandis que la surélévation type « refuge » consistait à rajouter des niveaux à colombages sans prétention,  les interventions contemporaines ont parfois rivalisé de singularité et de créativité. Surélévations architecturées en béton ou en bois, étages vitrés surmontant les maçonneries Napoléon III,  étages de cabinotiers à structure métallique,  verre et métal sur socle de pierre ; dialogue dans l’altérité au mieux,  discrépance parfois. Les réussites se comptent sur les doigts de la main.

 

Genevois et Chênois, ne dites plus « goulet »!

 

Sautera ou sautera pas le « goulet » de Chêne-Bougeries ? Des décennies de controverses à propos de cette partie de l’ancien noyau villageois indûment qualifié de « goulet », un terme hérité sans doute des sixties et de la toute-puissance automobile. Chaque resserrement des voiries alors considéré comme une entrave à la fluidité du trafic des voitures, sur lequel on misait gros. Autres temps, autres mœurs ! Les ingénieurs de la circulation s’évertuent de nos jours à inventer des chicanes en tous genres pour gêner le trafic.

 

Dans ces circonstances le terme de « goulet », pour désigner cette partie du vieux Chêne-Bougeries, est pour le moins vieilli ! Il serait plus correct de parler d’un village-rue dont subsiste deux lignes de maisons villageoises de part et d’autre de la rue de Chêne-Bougeries et une ligne de maison sur le chemin Pont-de-Ville. Perceptible sur les photographies aériennes et a fortiori in situ la valeur d’ensemble de ce « village dans la ville » s’impose d’emblée. L’aménagement de ce village-rue n’a jamais fait l’objet d’une étude historique approfondie; son développement urbain n’est guère connu qu’à travers la confrontation de quelques plans cadastraux. On ne peut exclure l’hypothèse d’une éventuelle planification au XVIIIe siècle qui aurait pu, sur un mode mineur, sous-tendre le développement de Chêne-Bougeries.

Des maisons en maçonnerie sur des socles en roche blanche, à arcs clavés presque plats dégageant des vastes vitrines,- une harmonisation des années 1860 -, se répondent de part et d’autre de la rue principale (traversée par le tramway électrique dès 1880) et forment à ce titre, au nom de la loi Blondel, ce qu’il est convenu d’appeler un ensemble du XIXe siècle ! Un univers villageois au cœur de la ville, univers qui n’aurait demandé qu’à être ripoliné, astiqué, valorisé pour ressembler aux rues carougeoises, desquelles il est contemporain.

 

Au lieu de cela des grands projets pour Chêne-Bougeries qui vont rendre orpheline la ligne de maisons méridionale, lui offrant pour vis-à-vis des immeubles modernes. La condamnation va-t-elle tomber sans appel pour sanctionner le prétendu goulet ? Les Chênois vont-ils sacrifier cet ensemble sur l’autel du trafic et de la densification. Foin alors des demi-mesures et voyons grand: ce n’est point un demi-« goulet » qui est à démolir mais un « goulet » tout entier.

 

 

L’Ours de Berne disparu

Enseigne de lOurs de Berne (Blavignac auctions)Le magasin « L’Ours de Berne » occupait depuis un siècle, en face de l’horloge fleurie venue s’implanter bien plus tard, un emplacement stratégique dans un bel immeuble de la fin des années 1850, à l’angle de la place Longemalle et du quai Général Guisan. Ouvert à l’occasion de l’Exposition Nationale de 1896, ce commerce de souvenirs genevois destiné aux touristes vendait des objets typiquement helvétiques: des coucous, des couteaux suisses, des broderies de St-Gall, des objets en bois sculptés de Brienz …

L’établissement ayant fermé ses portes à la fin de l’année 2007, la collection particulière de l’établissement est passée aux enchères au début du mois de décembre dans la maison de ventes Gaudet et Ding. Le premier week-end de décembre 2007 on pouvait voir dans la véranda de la belle maison Sarasin, une demeure néo-classique des années 1830’, épargnée de justesse par l’érection de Palexpo, le mobilier et la collection particulière de l’Ours de Berne exposés pour y être vendus.

Irréel le spectacle de cette véranda emplie d’éléments de mobilier sculptés en bois dur dans la tradition de l’Oberland bernois, des objets perdus, en quête d’avenir, des ours de toutes tailles, beaucoup d’ours bruns parmi telle console à décor de chamois entourée d’un cadre de sarments et de feuilles de vigne … ou tel guéridon entièrement sculpté, soit table de fumeur de Brienz représentant un paysan portant une hotte! Un ours debout de 28 cm d’une très belle facture classique de Brienz, un exceptionnel ours portant une carafe en cristal et argent avec 6 verres à liqueur, un ours en colère la gueule ouverte, un ours banneret portant le drapeau suisse, une exceptionnelle petite table avec un ours servant de pied central, une table de fumeur avec une tête d’ours servant de pot à tabac et sur le plateau un petit ours tenant des allumettes, une paire de fauteuils sculptés de Brienz avec un médaillon sculpté d’un ours sur le dossier et les pieds sculptés par deux oursons escaladant des branches. Enfin l’ours enseigne du magasin tenant une hallebarde et un bouclier et vendu en France pour 35.000 frs.

 

Sitôt la clef sous le paillasson, les dépouilles aux enchères! Parce qu’aucun dispositif à ce jour ne permet de sauvegarder des activités, même chevillées à l’histoire du lieu, pas plus que des commerces séculaires, comme l’était l' »Ours de Berne »! Un patrimoine genevois mis à l’encan alors qu’il eût pu intéresser les collections publiques. Une boutique de luxe de plus ouvrira prochainement ses portes à l’emplacement de l’ancien magasin de souvenirs au charme suranné.