La fondation qu’on ne nomme pas tue les Feuillantines

La propriété des Feuillantines faisait partie du patrimoine immobilier de l’ONU jusqu’ à la fin de l’année 2017. Ce domaine créé par la famille Duval vers 1880, puis passé entre le mains de la famille de Morsier, enfin racheté par l’ONU en 1937, a abrité un nombre important de personnalités de premier plan. Son architecture et l’écrin de verdure qui lui sert de parc vont néanmoins être, de façon tout à fait inexplicable, sacrifiés sur l’autel de la Cité de la Musique. A moins d’un coup de théâtre de dernière minute. Car une demande de classement du domaine des Feuillantines a été déposée par le mouvement citoyen « Contre l’enlaidissement de Genève ».

Comment en est-on arrivé là et avec quels appuis? La Fondation Wilsdorf, fondation qu’on ne nomme pas (on se croit en plein polar), finance à hauteur de 200.000 M° le projet de la Cité de la Musique et, par ricochet, la démolition d’une pièce majeure de l’échiquier patrimonial genevois. Et cela en toute légitimité et impunité et … en roulant des mécaniques! Un cas exemplaire de la dérive de nos institutions?

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Photo archives Droin

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Photo Miguel Bueno

Magnifiquement bien conservée à ce jour, la demeure des Feuillantines, édifiée par Gustave Brocher vers 1880 pour la famille Duval, est une exceptionnelle maison de maître tant par la qualité de son architecture que le maintien de son usage pour toute une collectivité jusqu’à présent. Les chambres de l’étage constituent autant de locaux à disposition de cours et activités des femmes de fonctionnaires de l’ONU.

Or c’est précisément à cet emplacement que viendra prendre place le projet primé par concours de Pierre-Alain Dupraz effaçant de la surface de la carte du monde le souvenir d’une exceptionnelle maison de maître. Pour réaliser une réplique de plus de la Philharmonie de Hambourg ou de celle, plus mythique, de Berlin par Hans Sharoun. La Musique iconoclaste balayant tout sur son passage. Drôle de conception des Arts Libéraux. Quiconque a un peu de culture sait pourtant que Ut architectura musica!

Nous ignorons quels mobiles ont agi les promoteurs du projet de la Cité de la Musique et comment ils ont pu faire comme s’ils allaient construire sur un terrain vierge. Les mélomanes sont-ils donc aveugles? Pourtant un rapport du Service des Monuments et des Sites rédigé par Bénédict Frommel indiquait, bien que sotto voce, l’intérêt de ce domaine. Au final, le dossier monté manu militari sacrifie une maison de maître et sa dépendance qui avaient tout lieu d’être dans le programme d’une soi-disant Cité de la Musique.

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Photo el-Wakil

L’histoire de ce domaine met en évidence son importance du point de vue architectural, mais aussi purement historique. Racheté en 1901 par Auguste de Morsier le domaine passera entre les mains de la SDN en 1937 a la suite de quoi il servira de résidence à plusieurs hauts fonctionnaires des organisations internationales: soit le premier secrétaire exécutif de la CEE, Gunnar Myrdal, le secrétaire général de l’ICITO/GATT, Eric Wyndam-Whyte, puis trois directeurs généraux de l’ONU, Pier. P. Spinelli, Winspeare-Giucciardi, Luigi Cottafavi.

La visite des Feuillantines révèle un remarquable état de conservation des éléments de décor et d’arts appliqués. Tout est là. La suite des deux escaliers, d’apparat d’abord du rez-de-chaussée au bel étage, privé ensuite du 1er a 2eme étage. La partition intérieure des pièces. Les panneaux de bois de lambrissage des pièces de réceptions, toutes les armoires et portes. Les cheminées, le dressoir vitré de la salle à manger, les parquets sous les moquettes, le terrazzo de la véranda, etc…

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Photo de 1906 (archives privées Droin)

Il paraît tout simplement incompréhensible qu’on en soit arrivé à cette solution finale. Iconoclasme pur? Destruction par inadvertance ou méconnaissance? La fondation qu’on ne nomme pas sait-elle seulement que ses millions financent la destruction de ce patrimoine? Est-il vraiment trop tard pour que les Feuillantines fassent partie du programme de la Cité de la Musique?

10 réflexions sur « La fondation qu’on ne nomme pas tue les Feuillantines »

  1. Une Cité de la Musique de la qualité qu’on nous promet ne perdrait rien à intégrer une villa de cette qualité: demandez à tous ceux qui habitent ou travaillent dans un bâtiment contemporain s’ils souffrent du voisinage d’une demeure d’un autre siècle !
    Ça ne demanderait à l’architecte que le talent qu’il a déjà et… d’accepter de revoir sa copie.
    Aux frais de qui ? Des responsables de la malhonnêteté de ce concours qui tablait scandaleusement sur la destruction des Feuillantines

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  2. J’aime profondément la Musique.
    J’admire et je respecte tous les musiciens, les professeurs et mélomanes.
    Je comprends la nécessité d’agrandir les espaces de l’enseignement musical à Genève afin que le plus grand nombre de genevois puisse avoir accès et bénéficier à plus de connaissances musicales.
    Mais de là à accepter de démolir une superbe maison patricienne chargée d’une partie de l’Histoire de la Genève internationale, il y a un pas que je ne peux franchir.
    Il est nécessaire de trouver un nouveau modelé.
    Dominique Papon

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  3. Comme toujours à Genève, pourquoi avoir réagi si tard ? Le concours d’architecture a été lancé il y a plus d’un an. Le 24 décembre 2016 !!! la Tribune indiquait que c’est le terrain Des Feuillantines qui était prévu, et le résultat du concours d’architecture, qui ne laissait aucun doute sur le sort de la Villa a été présenté en septembre 2017. (mais dans les documents du concours que je m’étais procuré, publiés en janvier 2017, il était clair que le terrain était disponible en entier, avec sa maison de maître…).

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  4. Cette future « cité de la musique » fait partie de ce mouvement culturel général mondialiste qui veut que toute ville dite internationale doit avoir: ces musées, une philharmonie, une cités de la musiques, des galeries d’arts modernes, des prada/gucci/vuitton/dior/zara/h&m et autres! Et bien sûr des bars lounge, pour les bobos/babas/easyjet-seteurs! Je ne doute pas que Hambourg et sa philharmonie herzog/de meuron est devenu LE point de chute absolu, ces derniers mois, avec des millions de selfies, (devant derrière dessus dessous), la nouvelle maladie du siècle!

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  5. Les concours d’architectures genevois sont une vraie maladie, l’aménagement du bord de l’Aire et le parc qui jouxte uni mail en sont un parfait exemple!

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  6. Nous avons réagi dès que la chose nous a été signalée, c’est-à-dire après la publication des résultats du concours et en cherchant la maison des Feuillantines sur les plans. Pensez-vous que c’est aux citoyens de faire les gendarmes et de surveiller tout le territoire, alors que nous avons des instances payées pour le faire (Direction du patrimoine, Service des monuments et des sites, Commission des monuments et des sites, Architecte cantonal, Commission d’architecture, etc…)? Une sorte de jeu de gendarmes et de voleurs ou les voleurs de notre patrimoine sont du côté de l’Etat. C’est vraiment le monde à l’envers.

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  7. Chère Madame El-Wakil, Intéressant article! Vous devriez corriger le crédit des photos , le nom exact est Droin et non Drouin. Merci!

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