Les communicants des partisans du projet officiel pour le Musée d’Art et d’Histoire ont fait main basse sur les mots. Juste pour embrouiller un public que, dans leur scénario simplificateur, pour ne pas dire simpliste, ils ont lourdement sous-estimé! L’imbroglio langagier engendré par le OUI au Musée vise à signifier que les opposants disent NON au Musée. La création du slogan « Toute la Culture » (c’est nous!), une appropriation de la Culture en somme, est une tentative d’en déposséder les adversaires. Toute l’opération vise à sous-entendre que le camp d’en face est un ramassis de gros balourds incultes. La vraie question est la suivante. A qui appartient la culture? A qui appartiennent les mots?
On l’aura compris. Rien n’arrête les partisans du projet officiel pour le Musée d’Art et d’Histoire dans leurs agissements médiatiques, culturels et architecturaux. C’est main basse sur les biens publics. Même Konrad Witz, qui appartient à la collectivité, est détourné à leur profit. Tandis que leur armada de juristes s’interroge quotidiennement sur le « droit de l’art », ils récupèrent la Pêche miraculeuse pour y apposer leur grosse pastille violette du OUI. Ca suinte de mauvais goût.
On peut s’amuser à décoder l’image trafiquée qui en résulte. Sur ce qui est, il faut le dire, l’un des joyaux des collections du Musée, le panneau d’un volet du célèbre retable de Konrad Witz. Il s’agit en fait du plus fameux panneau de ce retable démantelé, dédié à Saint-Pierre, celui qui représente le paysage légendaire de Genève, de son lac et de ses montagnes en 1444, un des premiers paysages peints véridiques de l’histoire de la peinture occidentale. Sur ce chef d’oeuvre se superpose l’oeuvre des publicistes: l’énorme OUI qui vient s’ajouter de la droite. Derrière le dos du Christ flottant miraculeusement sur les eaux du lac Léman et qui contemple la barque des pêcheurs et Saint-Pierre qui s’est jeté dans l’eau poissonneuse, le OUI qui tranche, qui dicte et qui impose!
Disproportionnée, hors de propos, jurant avec la polychromie savante du panneau, la pastille violette du OUI, de surcroît, cache la Ville de Genève! Elle dissimule les Eaux-Vives et les installations sur pilotis de la ville du XVe siècle. Elle se répand et s’approprie l’oeuvre, qu’elle utilise comme un faire-valoir. Sans aucun égard pour cette dernière (en allemand on dit « rücksichtslos »). Sans aucun égard pour Genève non plus! Qu’on préfère omettre si elle ne sert point nos intérêts.
Il importe de communiquer. Konrad Witz est kidnappé. Mais qu’aurait-il pensé de l’abus fait de son ouvrage? Et si l’on pousse jusqu’au bout le questionnement et, bien qu’il ait vécu près d’un demi-millénaire avant les faits, eût-il été un partisan du projet officiel pour le Musée d’art et d’histoire ou un adversaire? De quel droit l’a-t-on utilisé de la sorte?
Ceci en dit long sur toute la philosophie des promoteurs du projet officiel, toutes catégories confondues. Le projet officiel lui-même n’est pas autre chose qu’une pastille violette totalement incongrue. Il se sert du Musée d’Art et d’Histoire comme d’un prétexte dans lequel s’insinuer et bâtir sans égards un corps intrus.
La culture n’est pas qu’un vain mot dont peuvent s’emparer des individus qui en sont profondément dépourvus. La culture se pratique dans l’intelligence et passe par la connaissance.