MAH Fiction: le 29 février du Non

La querelle du MAH a pris une tournure homérique. Mais les Ulysse locaux n’ont pas su nous emmener en voyage … Pas davantage que les Circé et les Calypso … Rien qui n’incite au rêve, ni au dépaysement, ni au décentrement. Et ce n’est pas faute de moyens, de vidéo-simulations et d' »after » … mais, à force d’en faire tant et trop, leur nef n’a jamais pris le large. Elle s’est embourbée sans grâce et sans esprit dans un sillon glaiseux.

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Ulysse et Calipso, Arnold Böcklin

Les semaines précédent le scrutin ont été émaillées d’offensives quotidiennes à l’arme légère ou avec balistique lourde. Les élites politiques et leur garde rapprochée ont consacré une énergie et un temps inouïs (c’était somme toute disproportionné et c’était avec de l’argent public!) en escarmouches et estocades de toutes sortes. Le président du Conseil d’état est même descendu personnellement dans l’arène municipale, chose jamais vue. Un certain establishment a défendu envers et contre tous un projet contre lequel la population genevoise s’était déjà mobilisée par un référendum largement soutenu. Il faudra du temps et des investigations pour comprendre tous les tenants et tous les aboutissants du projet officiel.

Que le clivage entre les élites financières et politiques et les citoyens se soit aggravé est de notoriété publique dans le monde et en Suisse aussi, malgré le miracle de notre démocratie semi-directe, celle-là même qui permet par le biais du référendum et de l’initiative, d’amener des correctifs aux décisions des élus! Très clairement le politique, pour des raisons qui resteront à élucider, s’est obstiné à faire passer en force un projet architectural discutable, dépassé et contesté tant par les spécialistes que par la majorité du public attaché au Musée d’art et d’histoire. Or l’heure n’est plus à ce projet élitiste, fomenté pour faire un coup à la fin des années 1990, en faisant venir Nouvel au sommet de sa carrière, surfant sur la vague de l’Institut du Monde arabe (1987), de la Fondation Cartier (1994) et du KKL (1998). Le démiurge s’enlise présentement dans une fin de carrière moins météorique et plus litigieuse. Que les adeptes inconditionnels se consolent! Sous label Nouvel, nous finirons bien par avoir à Genève les gares du CEVA.

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Projet de la gare de Champel (CEVA)

Y a-t-il à s’étonner du refus d’un projet somptuaire à l’heure des coupes budgétaires annoncées? La difficile gestion du Stade de Genève est là pour nous rappeler la folie des grandeurs qui a pu saisir Genève dans une période plus favorable. Quant au montage du partenariat public/privé, censé alléger le porte-monnaie des contribuables, il n’a fait que jeter le trouble dans les esprits sans réussir à convaincre. A l’heure de la légitime exigence de transparence qui saisit le peuple des votants en démocratie, la complexité et l’opacité du dispositif n’ont pas davantage emporté la confiance. L’ensemble de la construction financière a donné la fâcheuse impression d’un marché de dupes: celui d’un mécène principal qui n’en est pas vraiment un et qui, en contrepartie du prêt de ses collections, se fait mettre à disposition un musée aux frais de la princesse. Tandis qu’à Bâle, pour ne pas sortir de Suisse, Maja Oeri, une vraie mécène, finance à hauteur de 70 M° la construction du nouveau bâtiment situé en face de l’ancien Kunstmuseum.

Du statut patrimonial du musée conçu par Marc Camoletti, tout a été dit: palais exceptionnel pour Genève (ce que soulignent les étrangers de passage), intégration urbanistique, reconnaissance nationale, tout ceci impliquant des mesures conservatoires et d’entretien dues après tout ce temps. Mais en aucun cas un projet négationniste privant l’auguste bâtiment de sa cour en engageant son pronostic vital. Même si les partisans de ce projet se sont efforcés de nous faire croire que cette intervention s’inscrivait dans la ligne de celles de Norman Forster au British Museum, de Chipperfield au Neues Museum de Berlin, de Pei au Louvre …, lesquelles interventions nous tenons en haute estime pour leur reconnaissance attentive de l’existant et leur recherche d’intégration. Les Genevois, comme lors des votations sur l’Hôtel de la Métropole, l’Ariana, les bains des Pâquis … se sont réveillés et ont compris qu’être moderne en 2016 ce n’est pas détruire le passé. Qu’une fois restauré dans les règles de l’art et agrandi avec intelligence et respect, le bâtiment sera l’un des joyaux de la Ville de Genève, susceptible d’attirer beaucoup de monde de partout.

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Cour du MAH @ Habib Sayah

Le 29 février du Non va être le début de la paix des braves. Dans l’intérêt du MAH, que nous aimons tous. Il va falloir donner du sens au MAH, à sa conception muséographique, au programme qui en découlera sur lequel concevoir un nouveau projet. Il va falloir s’entendre pour trouver les solutions en gardant l’appui du privé, qui certainement aime aussi assez le MAH pour lui conserver son soutien. La célérité sera de rigueur, car le monument requiert des soins qui ne sauraient attendre. L’Odyssée va enfin commencer. Pénélope est au bout du chemin.   

 

 

6 réflexions sur « MAH Fiction: le 29 février du Non »

  1. Une très bonne synthèse de la situation Leila, bravo ! Cette « longue marche » je l’espère n’aura pas été inutile, du moins je l’espère. Mais on se met à douter vraiment que si peut de bon sens et d’intelligence ne soient pas au rendez-vous de la gouvernance. Dans les stands nous rencontrons passablement de gens qui nous questionnent sur ce point. Certes la démocratie directe ouvre un débat public certain, mais je pense aussi qu’il manque une « démocratie participative » qui aurait obligé les magistrats en s’entourer à la fois d’expertise, d’avis, d’hypothèses, et que finalement on élabore en commun les critères pour promouvoir un autre projet (et dire qu’il n’y a pas eu d’exposition sur les 4 autres projets de ce bizarre appel d’offre, projets restés à ce jour presque secrets…).
    André Corboz, en son temps, nous a enseignée l’idée de la « négociation qualitative » en affirmant le site ou l’édifice comme préalable au projet. Le drame, dans ce que Katharina Holderegger qualifie de crise du MAH depuis 2009, c’est que cette négociation était impossible en raison de l’absence d’un programme muséographique, sauf l’addition de deux musées et d’un collectionneur survenu entre temps à Genève.
    Nous devrons, si le NON l’emporte, « trouver la main qui convient à ce gant » (A. Corboz) en espérant une claire autonomie entre une direction artistique et scientifique du musée. Trop d’imbrications sont aussi à l’origine de cette crise du MAH et son projet qui engendre d’autres crises, d’autres déconvenues. Il n’y a plus qu’à espérer sur une conscience collective responsable et du bon sens dans ce gros dossier.

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  2. L’on ne peut que souscrire à ces lignes. Quelques perplexités supplémentaires me viennent à l’esprit:
    1)Cette votation, comme d’autres précédemment (à propos du CEVA par exemple) nous montre que les conditions d’un vrai débat (découlant de la démocratie directe, ou participative) se dégradent à vue d’œil. L’on n’échange plus à partir d’arguments fondés – l’on procède par invectives.Y compris. nous dit-on, de la part de tel magistrat, qualifiant de ‘conneries’ les objections des opposants
    2)Faire croire aux Genevois que l’on ne peut se passer d’une ‘star’ (vraiment?) de l’architecture est décidément singulier. Est-ce à dire que le MAH et ses collections n’auraient aucun attrait sans le ‘label Nouvel’ ? Est-ce à dire qu’il n’y a, à Genève ou en Suisse, aucun architecte de talent susceptible de nous proposer une solution imaginative et respectueuse du bâti ?
    3)Il est ahurissant de constater à quel point les leçons d’un passé récent restent lettre morte. Ainsi, un certain autisme nous a déjà fait perdre temps (et argent) précieux à propos du Musée d’Ethnographie. Il a donc fallu attendre une votation vouée à l’échec pour aboutir au projet que le bon sens commandait de développer dès le départ (soit,depuis des décennies)!

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  3. L’on ne peut que souscrire à ces lignes. Quelques perplexités supplémentaires me viennent à l’esprit:
    1)Cette votation, comme d’autres précédemment (à propos du CEVA par exemple) nous montre que les conditions d’un vrai débat (découlant de la démocratie directe, ou participative) se dégradent à vue d’œil. L’on n’échange plus à partir d’arguments fondés – l’on procède par invectives.Y compris. nous dit-on, de la part de tel magistrat, qualifiant de ‘conneries’ les objections des opposants
    2)Faire croire aux Genevois que l’on ne peut se passer d’une ‘star’ (vraiment?) de l’architecture est décidément singulier. Est-ce à dire que le MAH et ses collections n’auraient aucun attrait sans le ‘label Nouvel’ ? Est-ce à dire qu’il n’y a, à Genève ou en Suisse, aucun architecte de talent susceptible de nous proposer une solution imaginative et respectueuse du bâti ?
    3)Il est ahurissant de constater à quel point les leçons d’un passé récent restent lettre morte. Ainsi, un certain autisme nous a déjà fait perdre temps (et argent) précieux à propos du Musée d’Ethnographie. Il a donc fallu attendre une votation vouée à l’échec pour aboutir au projet que le bon sens commandait de développer dès le départ (soit,depuis des décennies)!

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  4. Encore une fois on compare l’incomparable entre Bâle et Genève. Mme M. Oeri, digne petite- fille de l’unique famille de mécènes (Sacher/Stehlin/Hoffmann La Roche) finance certes une aile du Kunstmuseum de Bâle mais, et c’est un détail qui échappe à certains, en faisant partie de la commission officielle de choix artistique pour le Musée. De l’art à Bâle de côtoyer aimablement les mécènes.

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  5. Merci à une architecte de notoriété internationale et de qualité incontestables, de contribuer à notre NON à ce projet dénaturé et vicié de fond en comble
    J’aurais espéré voir ici témoigner quelques uns de nos architectes et enseignants mêmes partis de la HESSO,
    Mais Genève est sous opercule.

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  6. NON à une genevoiserie de plus!
    Si Jean Claude Gandur convient que sa proposition de financement du MAH ne constitue pas du « mécénat » il ne va toutefois pas jusqu’à nommer de quoi il s’agit réellement : du chantage. Certes, cela n’a rien d’étonnant de la part d’un magnat de pétrole habitué à faire du commerce avec des dictateurs de l’Afrique subsaharien (enfin, gageons que la « collection » d’art de M. Gandur ne compte pas d’œuvres de Sebastião Salgado). On peut également s’interroger sur la légitimité d’une proposition qui veut imposer l’exposition d’une collection privée à un musée qui manque déjà cruellement d’espace.

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