Des jours de trêve et de traîne, en deça et au-delà du 1er de l’An. Sous la pluie, Genève ne brille pas, de plus en plus dépareillée et désassortie, ses immeubles aux pierres mouillées souvent mal entretenus, les bétons moulés imbibés, salis et verdis de coulures et de mousses, pas deux bâtiments qui se suivent et se ressemblent, le règne de l’hétéroclite, le paroxysme de la pièce détachée: un grand Lego mal assemblé, mal assorti. Bien peu – en fait de moins en moins – de constructions qui sauvent ce sauve qui peut d’une architecture sauvage et déréglementée. Le chaos s’aggrave au pied de chaque grue qui engendre l’une un monstre, l’autre un travesti, une autre parfois tout de même un vrai bâtiment.
Un bel ensemble de la rue de l’Athénée, cassé par une surélévation
ponctuelle, qui brise l’épanelage et détruit l’unité du quartier
Tout le monde semble dupe et personne ne s’indigne vraiment de ce qui passe pour une fatalité. C’est que, au cas où l’on ne le saurait pas déjà, il n’y a pas assez de logements à Genève. Ceux que le métier et les connaissances pourraient porter à la critique gardent silence! Pire ils acquièscent … muselés par on ne sait quelle force ou inertie. A moins que le filtre des prometteurs discours promotteurs ne déforme leur vue? Ou qu’un désespérant sentiment d’impuissance doublé d’un espoir de consensus mou n’enchaîne leur langue et n’émousse leur plume? Les milieux immobiliers genevois tirent parti de ce comportement taiseux et emplissent leur besace tout en enlaidissant chaque jour davantage leur poule aux oeufs d’or, désormais une gallinacée toute boursoufflée et contorsionnée. Le légendaire paysage genevois ne pourra bientôt plus sauver quoi que ce soit.
L’architecture genevoise vit à l’heure des prothèses (en tout genre même si pas mammaires …) encouragées par l’avocat qui préside aux instances d’un département où construction rime avec techniques de l(a)'(dés)information. Qui a donc lancé et confirmé l’idée qu’une ville pouvait en toute impunité (esthétique et morale) se surélever? L’heure des comptes sonne à présent dans cette Genève rafistolée où l’on comptera bientôt les immeubles ayant échappé aux impacts de cette guerre, dont les mobiles, inavoués mais explicites, sont profit et inculture.
L’Hôtel Cornavin exhibe ses entrailles en surélévation
en toute logique constructive (paraît-il); mais qui a dit que
cette logique-là donnait satisfaction au passant épris d’une
banale, voire triviale, logique de façades?
Chaque propriétaire, chaque régisseur, y va de sa surélévation, sans surtout se soucier de ses voisins, de l’ensemble, de l’harmonie du quartier. Sans se soucier de cacher le soleil de l’autre … Là où il y a toit plat, là où il y a gabarit non excédentaire, il y a danger! Point de charpente, de lucarnes et de tourelles sous lesquelles le bâtiment pourrait se défendre; point d’alignement au gabarit maximum (il)légal qui n’interdise d’ajouter le(s) niveau(x) supplémentaire(s). Le pire est qu’à coups d’additifs, on casse des ensembles et des alignements: mais qui se soucie donc de l’intérêt général tant qu’on peut faire du profit particulier? Et Genève d’encaisser …
Que va-t-il advenir de ce charmant immeuble fazyste
de faible gabarit au bd George Favon, pris en tenaille entre l’ancien
magasin Spengler (à l’origine de la Loi Blondel de 1982 sur la
protection des ensembles) et un autre grand gabarit sans âme et hors contexte?
Genève, ville de refuges, a connu la surélévation comme solution de survie pour héberger protestants et autres huguenots au XVIe et XVIIe siècle. L’opération prenait place en structure légère au-dessus des immeubles de molasse: c’était souvent du colombage fait de bois et de remplissage. L’urgence prenait le pas sur l’art et les maîtres-charpentiers et maçons accomplissaient très utilement et sobrement leur office. Aujourd’hui la surélévation est aux mains des architectes et c’est parfois pour le pire. Car chacun y va de son invention, surélévation rimant avec créativité et expression de soi pour ajouter au désordre et au désarroi. Il s’agit pour beaucoup d’afficher leur talent, alors que reconnaître celui du praedificandi serait adéquat. Chapeau bas aux quelques uns qui ont réussi cet exploit!
ces_surelevations_d_immeubles_qui_fachent
N’exagérez-vous pas quelque peu lorsque vous qualifiez de charmant l’immeuble fazyste en question? Et si charmant ait-il pu être par le passé, ne l’était-il pas du fait qu’il s’intégrait à un ensemble et qu’il n’était pas, comme c’est le cas aujourd’hui, coincé entre deux imposants buildings contemporains? Dans le cas présent entre une surélévation même hybride et une démolition/remplacement, mon choix est vite fait. Quant à l’ensemble de rue de l’Athénée, franchement, a-t-il réellement un jour été « beau »?
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Hier un journaliste de la RSR qui enquête sur la question ne savait pas que ce fameux « accord sur la loi de surélévation » après notre référendum comportait trois couleurs qui ont disparues dans l’application qu’en fait le DCTI pour ne retenir in fine que du « feu vert » ! Au delà des considérations développées ci-dessus la dynamique de l’Etat (où se joue des rapports de force ou des « illusio » pour reprendre l’un des outils de la boîte à Pierre Bourdieu, sociologue) n’a pas cru bon reprendre ces couleurs qui auraient permis de réguler autrement ce nouveau goût genevois pour les hauteurs… Rouge = pas de surélévation, jaune = çà se discute, vert = surélévation possible. A celà il faut ajouter que le mot « harmonie urbanistique » est 3 à 4 fois dans les articles de loi concernés. Le chef d’orchestre des travaux publique laisse de côté quelques phrasés à l’appuis de l’article 11 de la LCI pour jouer sur un autre registre, celui de la dérogation.
Ainsi donc chère amie de l’histoire il y aurait lieu de s’entendre pour inverser la tendance sur le terrain où se trouve des forces positives, plus que réactives, ce que tente de faire quotidiennement des associations comme celle de Patrimoine suisse. Et qu’avant de tirer (ou faire la leçon) sur les acteurs qui s’impliquent avec engagement et sincérité, et parmi eux des architecte, urbanistes et paysagistes aussi, il vaudrait mieux utiliser cette énergie à mobiliser les compétence qu’il nous manque pour avancer sur la question de la transformation de la ville. Autrement dit restituer des rapports de sympathie entre restauration et transformation, entre ancien et nouveau qui va se jouer dans ce 21e siècle.
Avec mes cordiaux messages. MBA
NB: un texte de bilan est en préparation dans le prochain numéro d’Alerte du journal de la section genevoise de Patrimoine suisse
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