Lettre ouverte à M. Patrice Mugny, Conseiller administratif de la Ville de Genève

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MAH_Ass_Musées_CH_Lettre_Mugny.pdf

MAH_D_Radrizzani au CA.doc

MAH_RMM_Lettre au CA_11.5.2009_rmm3.doc

 

Genève, le 14 mai 2009

 

Monsieur le Conseiller administratif,

 

La manière aussi théâtrale que brutale avec laquelle a été démis de ses fonctions le directeur des Musées d’art et d’histoire de Genève, chassé comme un malfaiteur, a peut-être répondu à des calculs politiciens qui nous échappent ; mais elle a gravement nui à l’institution même, non seulement parce que ce directeur à la veille de sa retraite était certainement mieux qualifié pour expédier les affaires courantes jusqu’au 1er octobre, date d’entrée en fonction de son successeur, qu’un responsable politique et qu’un comité de pilotage aux compétences pour le moins problématiques, mais encore et surtout parce qu’il a durablement terni l’image des Musées d’art et d’histoire auprès de la population dont les impôts assurent l’existence de l’institution, auprès des collectionneurs et mécènes qui lui apportent une aide irremplaçable, comme auprès des visiteurs potentiels. Les conséquences s’en font déjà sentir.

L’audit réalisé (pour 52.000 Euros) par la société Eurologiques qui a servi de prétexte à cette démission forcée portait sur deux domaines distincts, les ressources humaines et les problèmes de personnel d’une part, les collections, les locaux, la muséographie et les publics d’autre part. Comme vous le saviez depuis longtemps, les conditions de travail dans les Musées d’art et d’histoire (ainsi qu’à la Bibliothèque de Genève) avaient déjà fait l’objet de nombreuses plaintes et de plusieurs démarches : Mme Isabelle Brunier vous avait interpellé sur ce sujet ; votre réponse avait provoqué l’envoi d’une lettre au Conseil municipal par les présidents de commissions du personnel ; enfin, deux membres du Conseil municipal avaient déposé le 20 mai 2008 un projet de motion qui, pour soutenir le personnel, concluait à la nécessité de faire réaliser un audit. Toutes ces démarches avaient en commun de vous désigner comme responsable d’une situation à laquelle il vous incombait de remédier, le Conseil administratif étant tenu d’assurer une bonne gestion des personnels des différents services de la Ville. À la suite de l’audit que vous avez fini par commander vous-même, c’était donc vous, en toute logique, qui auriez dû donner votre démission.

On est en droit de se demander pour quelles raisons l’audit confié à Eurologiques a été élargi à des domaines qui n’étaient pas prévus à l’origine, comme les collections ou encore la muséographie qui ressortit directement à la compétence du directeur. Les auteurs de l’audit prétendent voir dans le fait que les Musées d’art et d’histoire seraient restés « en marge des réalités du siècle », sans projet « sociétal », la cause profonde du malaise ressenti par les personnels – comme si le seul fait d’être impliqué dans un projet fédérateur et innovant, pour reprendre le jargon à la mode, suffisait à régler les conflits de personnes, sans parler des questions d’ordre purement pratique. Il leur est d’autant plus facile de l’affirmer que toute la partie du rapport qui traite du management se compose d’affirmations générales et abstraites et de jugements dépréciatifs, mais qu’elle ne contient aucune donnée concrète concernant les conditions de carrière, les cahiers des charges, les tâches effectives, etc.

En ce qui concerne la fonction et les missions des Musées d’art et d’histoire de Genève, les auteurs de l’audit ne font que projeter sur ceux-ci, ne disons pas une idéologie (car le terme suppose une cohérence interne qu’on ne discerne pas dans leurs propos), mais un tissu de préjugés et de partis pris, souvent contradictoires, qui pourraient s’appliquer à n’importe quel autre établissement du même ordre, les auteurs déclarant eux-mêmes que la plupart des musées européens souffriraient des même maux – on pense aux Offices, au Prado, à la National Gallery de Londres, à l’Alte Pinakothek de Munich, à bien d’autres encore ! Deux oppositions simplistes structurent leur discours, entre, d’une part, un passé révolu dont il serait impératif de rejeter les survivances et un présent ou un avenir, tel du moins qu’ils le voient, auquel il conviendrait de se soumettre, et, d’autre part, entre une élite sclérosée d’amateurs et de spécialistes d’un autre âge et de nouveaux publics toujours invoqués sans être jamais précisément définis. La notion de beaux-arts étant tenue pour une notion élitiste appartenant au passé, on croit comprendre que, pour les auteurs, un musée d’art devrait être transformé en un parc d’attractions. Mais une rhétorique aussi partisane (et aussi usée) dissimule mal, sous prétexte de démocratisation, une démagogie au service d’une conception purement affairiste des entreprises culturelles.

Lorsque les auteurs sortent des généralités pour évoquer des aspects particuliers des Musées d’art et d’histoire de Genève, ils le font en des termes aussi blessants qu’injustifiés. S’agissant de l’origine de leurs collections ou de la valeur (trop faible, selon eux) des œuvres qui les composent, en particulier, leurs commentaires atteignent un rare niveau d’ignorance et d’absence de logique ou de mauvaise foi. Il n’y aurait rien de scientifique dans la genèse de ces collections
, rien de rationnel dans leur essaimage en différents lieux. Mais les collections de tous les grands musées d’art se sont accrues d’abord par des dons et des legs sans qu’il ait jamais été possible d’imposer aux futurs donateurs, à l’avance, la rationalité d’un projet scientifique défini a priori, ni qu’il ait été jugé opportun de refuser leurs libéralités sous prétexte d’incompatibilité avec un tel projet. Quant à qualifier les acquisitions de lubies, l’honnêteté intellectuelle la plus élémentaire eût dû conduire à en donner des exemples. Que Ferdinand Hodler ne jouisse pas de la même notoriété universelle qu’un Cézanne ou qu’un Manet ne signifie pas encore qu’il ne soit connu que « des spécialistes et grands amateurs » ; c’est de plus ignorer le pouvoir identitaire que ses œuvres possèdent pour la Suisse et pour Genève en particulier.

Il est fâcheux qu’une telle diatribe s’achève, comme la montagne accouchant d’une souris, par un catalogue de mesures qui relèvent de la plus pure banalité, puis par des recommandations aussi creuses que le rattachement de la Bibliothèque d’art et d’archéologie au service des bibliothèques ou aussi aberrantes que l’autonomisation du Musée Rath – sans parler de la mise en place d’une formation à la médiation avec « une université à déterminer », les auteurs de l’audit ayant sans doute oublié de consulter les programmes d’histoire de l’art de la Faculté des lettres de Genève, à moins que la formule ne cache pudiquement certaines ambitions.

À la lecture du rapport d’audit, on en vient à se demander comment ses auteurs, honorablement connus par ailleurs et qui, selon vos dires, auraient été recommandés par le Comité suisse de l’International Council of Museums (mais l’on aimerait bien savoir par quelle instance précisément de ce Comité !), n’ont pas compris que leur réputation n’avait rien à gagner à signer un factum d’une telle indigence intellectuelle. On se demande aussi comment un responsable politique dont on attendrait un minimum d’esprit critique a pu prendre au sérieux une pamphlet aussi hargneux qu’inconsistant.

Il reste à espérer qu’après ce coup d’éclat désastreux pour l’image des musées de Genève, le prochain directeur pourra agir dans un climat de sérieux et de sérénité.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Conseiller administratif, l’expression de notre considération distinguée.

 

Érica Deuber Ziegler

historienne de l’art

 

Leïla el-Wakil

M.E.R. en histoire de l’architecture

à la Faculté des lettres de Genève

 

Cécilia Maurice

historienne de l’art

 

Pierre Vaisse

Professeur honoraire d’histoire de l’art contemporain

à la Faculté des lettres de Genève

 

Jean Wirth

professeur d’histoire de l’art du moyen âge

à la Faculté des lettres de Genève

4 réflexions sur « Lettre ouverte à M. Patrice Mugny, Conseiller administratif de la Ville de Genève »

  1. Mugny s’est fait de nouveaux copains sur la place mais c’est un bulldozer il avance en écrasant sur son passage, dépassant les fonds publics en arrosant ses artistes favoris (300’000 Frs pour une sculpture ici) et en distribuant des deniers par pur électoralisme et non pas pour le « bien commun  » de Genève. Fusionnons les départements de la culture pour n’en garder qu’un au niveau cantonal.

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  2. Mai 2009 – novembre 2009.
    Que est le nom du nouveau directeur du musée ?
    Quelle appréciation des signataires de la lettre ouverte à M. Mugny, de ses six mois d’exercice ?
    Le public dont je suis, peut-il avoir un retour sur cette nouvelle installation tant décriée ?

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  3. L’installation tant décriée l’a été pour les formes dans une Cité et sous une administration (ou plutôt un Conseiller administratif) qui ne sait pas à quoi ressemble le plus élémentaire savoir-vivre! Sur le fond ce n’est pas le lieu, ni l’heure de se prononcer.

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