Marcel Duchamp était, selon ses propres dires, fasciné par les machines d’une chocolaterie à Rouen, qu’il voyait fonctionner à travers la vitrine en contrebas de la rue où il habitait, ce qui lui suggéra la peinture de précision de l’une d’entre elles qui allait prendre place dans l’une de ses oeuvres les plus célèbres: le Grand Verre. Constituée de trois cylindres, chargés de réduire la granulosité du chocolat, ces machines tournaient implacablement, même à vide parfois. Toute aussi implacable est la machine immobilière locale, nationale et transnationale …, la grande mécanique internationale qui n’en finit pas de ne pas ralentir et qui broie dans les cylindres de ses bétonneuses les espoirs de toute vie durable et corollairement nos biens, nos souvenirs, notre histoire, nos maisons, nos arbres, nos jardins.
(Machine à broyer le chocolat, Marcel Duchamp)
Pourquoi, en démocratie, faut-il attendre fin juillet et août, c’est-à-dire le temps des vacances, pour diligenter les tronçonneuses sur les sites sensibles et chers à la population, des sites ayant fait l’objet de disputes, de débats, de recours, toujours et inéluctablement perdus dès lors qu’il s’agit de la sauvegarde de l’existant, mais toujours gagnés par le clan des machines à broyer? A l’instant on s’en prend aux arbres et à quelques maisons des différentes propriétés bordant la promenade Charles Martin, comme l’an dernier, au même moment, on s’attaquait à la forêt des Allières, ainsi que l’avaient relayé la majorité des journaux locaux (https://lecourrier.ch/2019/08/26/la-maison-du-jeu-de-larc-en-cours-de-destruction/ https://www.20min.ch/fr/story/les-pelleteuses-entrent-en-scene-malgre-la-fronde-828979846733, https://www.letemps.ch/suisse/guerre-lamenagement-empoisonne-geneve) et, cinq ans plus tôt, à la petite forêt de la route de Malagnou à laquelle Marc Moulin avait déjà, et c’était prémonitoire consacré un article dans la Tribune de Genève (https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/petite-foret-disparait-malagnou/story/25880373). Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres, la machine étant, sans relâche, aux aguets de l’assoupissement ou de la lassitude de ses opposants, qui auraient de quoi être usés par le caractère implacable du cours des choses décidées, on ne sait finalement pas où: là-haut, au loin, en-dehors, de manière exclusive ou, en tout cas, excluante, excluant totalement ladite population, mise, à chaque fois, devant un fait s’accomplissant, puis accompli.
Les étés genevois meurtriers se succèdent depuis longtemps, presque depuis la nuit des temps … Pour ne citer que quelques exemples, depuis l’incendie du Pavillon du Désarmement sous Claude Ketterer, à cause d’un pétard du 1er août nous avait-on lancé, la destruction de la Villa Blanc à Sécheron par des bulldozers sous Philippe Joye, alors qu’une demande de classement était en cours, … ce qui inscrit l’incendie de la villa Scriabine, 1 bis ch. du Vieux Vésenaz, l’été dernier dans une lignée d’accidents non élucidés et non élucidables, lesquels pourraient figurer en bonne place d’un régime corrompu et autoritaire. Mais en Suisse? et à Genève? Comment penser semblable machination? Si ce n’est par le transfert de nos intelligences et de nos compétences à la machine immobilière, bêtement mécanique et dépourvue d’âme et de sensibilité, sous-modèle de machine à sous ayant une grosse et vilaine tire-lire à la place du coeur, une machine de plus menteuse, incapable de discernement et particulièrement de discerner tout ce qui fait la qualité du territoire, vendant des vessies pour des lanternes.
Les cylindres des bétonnières qui constellent le territoire genevois ressemblent à s’y méprendre à ceux des machine à broyer le chocolat. Sauf qu’à tourner aveuglément et bruyamment ils ne lissent pas la pâte du chocolat, mais ils piétinent nos rêves d’une ville bucolique, en accord avec son temps, une ville du 3e millénaire soucieuse de félicité et de bien-être, de riches jardins arborés et potagers, d’entrelacs d’habitats anciens et modernes conjugués, d’espaces et de vides si indispensables à toute survie en communauté et avec les autres espèces, d’interstices livrés à l’imaginaire des usagers, de friches et de jachères, d’espaces de liberté d’évoluer, de penser et de rêver. Les machines à broyer qui sévissent dans nos étés meurtriers nous laissent plus vides et plus désemparés et plus atterrés.
Les abords de la promenade Charles Martin aujourd’hui (Photo Patrick Aymon)
Il y a une zone en pleine ville de Genève, le Clos Belmont face à la nouvelle gare du CEVA aux Eaux-Vives, qui va être saccagée par deux projets immobiliers, dont l’un sur une parcelle boisée et destinée par son donateur à des activités sociales, en l’occurence depuis des années le lieu de camps en plein air d’enfants citadins encadrés par des adultes. Il serait dans ce cas bénéfique de mettre en pratique les bonnes intentions affichées tant par la Ville de Genève que par le Canton de Genève en matière de biodiversité et de zones de verdure. Par exemple en réexaminant officiellement ces projets à la lumière de la dégradation accélérée de notre environnement à Genève. Le décalage entre le discours officiel et la réalité des actes, trop souvent observé, n’est pas, n’a jamais été, et ne sera jamais acceptable.
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C’est très bien écrit.
C’est tellement ça!
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La destruction de notre patrimoine bâti et arboré est inscrite dans le Plan Directeur Cantonal 2030 qui fixe l’objectif de pouvoir accueillir 100’000 personnes à l’horizon 2030. Ce plan, validé par les députés en 2013 n’a jamais été soumis en votation populaire.
Entre 2013 et 2019, plus de 30’000 personnes sont venues s’installer à Genève (hors demandeurs d’asile, clandestins,…) ce qui représente la construction nécessaire de plus de 15’000 logements….
Jamais les destructions du patrimoine n’ont été aussi rapides, généralisées et d’une densité sans précédent. Elles ont encore été accélérées depuis l’arrivée de M. Hodgers Conseiller d’Etat « Vert ».
Jamais les conséquences sur la vie quotidienne n’ont été aussi importantes, ne serait-ce que sur le plan de la circulation et de l’abattage d’arbres. Elles sont maintenant bien visibles et ressenties directement par l’ensemble de la population.
Mais il restent encore 70’000 personnes à accueillir si l’on veut respecter les plans et nourrir notre économie et l’industrie du bâtiment.
Est-ce vraiment ce qui est souhaitable pour Genève et ses habitants ? Ne faut-il pas maîtriser cette croissance pour lui redonner un sens qui respecte mieux les habitants, notre environnement, notre patrimoine et les générations futures ?
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