Il était une fois un été brûlant sur la route de Chêne à Genève. Le soleil dardait le sol de ses rayons implacables et les dos se voûtaient, tandis que la sueur perlait sur les fronts des jeunes et des aînés. Quittant la touffeur du bitume aigre et réverbérant de la route de Chêne, le groupe s’enfonçait une fois encore dans la profondeur de la forêt des Allières. Les vieux ombrages cajolaient les échines harassées, endolories par les brûlures de l’astre solaire. Chaque pas menait au coeur magique et frais d’une à peine croyable forêt urbaine totalement méconnue du grand public, un havre de paix, d’humus couvert de mousses, de feuilles et d’épines, habité de senteurs herbeuses, de chants d’oiseaux et de stridulements de grillons. Des écureuils s’enhardissaient d’une branche à l’autre des arbres centenaires. Un à un, ils étaient tous passés de l’autre côté du miroir, au Pays de la Maison de pain d’épices et de la sorcière; Hänsel et Gretel allaient leur apparaître pour sûr … et Alice et le Lapin frénétique qui regarde l’heure … et pourquoi pas aussi cette héroïne enjuponnée de rose sur son escarpolette?
(photo Fränzi Wartmann)
De mauvais génies s’apprêtaient à détruire ce paradis sur terre. Les explorateurs de cet urbex particulier savaient la dernière heure arrivée, car après s’en être allés trouver le juge, avoir dépensé forte monnaie et été déboutés, le moment tant redouté et apocalyptique s’approchait inéluctablement. Ils avaient eu beau plaider que les responsables avaient failli à leur tâche de protéger le patrimoine, la beauté architecturale et sa rareté, ce qui était absolument vrai, une cour de justice au cerveau absolument bien lavé et essoré dans la grande lessiveuse de l’incontournable densification leur avait rétorqué, comme durant les Trente Glorieuses et sans trembler, que la pesée d’intérêt penchait en faveur de l’absolue nécessité de logements en zone de développement. Les responsables, qui, au sens de la loi, ont la haute surveillance sur notre patrimoine, avaient été blanchis de toute accusation. Le fléau de la balance, c’était certain avait un penchant pour eux, qui ne font que passer et qui pourtant décident l’avenir de plusieurs générations.
(photo Fränzi Wartmann)
L’arrêt de mort du paradis des Allières avait été scellé il y a longtemps, en un temps où la préoccupation de l’évolution de la terre n’émouvait que des spécialistes qui répétaient en vain, sur tous les tons, dans des conférences académiques que nous courrions à notre perte. Le groupe en voulait particulièrement à l’élu cogneur au visage en lame de tronçonneuse et sa bande de coquins, le grand représentant rouge, la députée rose, portant, à la maison comme à la ville, les intérêts de l’urbanisme et les courtisans renifleurs des milieux immobiliers, die Geschwistern W., le grand régisseur … et le Commandeur … Car les archers (une poignée d’hommes qui ne sont pas même une fondation) ont beau répéter qu’ils aiment le patrimoine et sauvent la maison Auriol à Choully en s’y installant, ils n’en laissent pas moins disparaître la maison primée en 1900 au concours de façades de Lucien Monfort; ce faisant ils aiment aussi beaucoup l’argent que leur rapportera l’immeuble qui va s’édifier sur la scène de crime des Allières. Eux aussi participent pleinement au désastreux monopoly qui dévalise les habitants catastrophés de tous leurs biens.
(photo Fränzi Wartmann)
Corollairement l’assemblée des députés s’était comme d’habitude prononcée en méconnaissance de cause, sans être allée sur le terrain qu’elle ne connaissait pas, sans avoir apprécié la beauté essentielle et la valeur inestimable des grands arbres, de la faune, des trésors architecturaux en pleine ville. Endoctrinée par l’alibi du logement, elle avait tourné son pouce vers le bas pour la mise à mort du paradis et pressé majoritairement, au nom de la démocratie et de l’indigence de pensée, sur le bouton vert. Les bénévoles associations de sauvegarde du patrimoine avaient été prises en traîtres comme à chaque fois. Dans cette guerre déloyale l’abominable PLQ avait été déposé pendant les vacances d’été. Les yeux pour pleurer le méfait accompli au retour! Tandis que les parties adverses se frottaient déjà les mains … Faut-il encore parler de justice face à ces agissements? L’ensemble du processus est biaisé aux Allières comme ailleurs.
(photo Fränzi Wartmann)
La réalité merveilleuse des Allières dépassait la fiction. Gretel y a aperçu pour la dernière fois l’écureuil roux et acrobate qui se suspendait au balancier de sa queue duveteuse. Dans cette forêt urbaine enchantée poussaient des bébés chênes, bruissaient des chants d’oiseaux et des stridulements des petits grillons. Ici s’éprouvait pleinement l’énergie du lieu vrombissant de vie. Dans le fond se dressait la maison de pain d’épice dont le balcon ventru attend maintenant l’équarrissage. Ce sanctuaire aurait dû être considéré comme un bois sacré intouchable. Du carquois maléfique des mécréants et des sorciers de ce conte tragique jailliront les flèches empoisonnées qui pétrifieront à tout jamais la magie et tout le vivant. Personne n’est plus dupe, mais tout le monde est otage.
Vous nous avez fait vivre un rêve.
Merci.
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Chère Madame, joli petit conte, et triste histoire… Pauvre Genève, dont les actes ne reflètent pas les paroles, en sont même le contraire!
Bien à vous, Jacques Louis Davier
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