Supplique pour un « avenir (radieux) »

Tandis qu’affairés les camions remorques et les bétonnières sillonnent le canton de part en part, en maculant le bitume phono-absorbant de sable et de gravats, tandis que les grues claquettent en agitant leurs bras métalliques qui cliquettent, tandis que les entreprises générales, débordées, sous-traitent la tâche au sous-traitant qui brade le mieux les prix, on continue de nous assurer que l’avenir radieux est à ce prix. Pourtant la population, incrédule, souffre et gronde. Car, sous couvert de « mue », c’est au vandalisme le plus brutal qu’assistent impuissants les habitants dépossédés de leur territoire. De quelles perspectives d’avenir les remuements de terre d’un autre âge sont-ils porteurs? Quel rayonnement espère-t-on lucidement voir naître d’anciens quartiers décimés ? Quel récit crédible d’ « avenir radieux » ou d’avenir tout court véhiculer suite aux dévastations commises ?

Il n’a a pas de mots trop forts pour qualifier la densification imposée d’en haut, dont les contours ont été dessinés par le Plan Directeur Cantonal 2030 (à propos duquel la population n’a jamais été appelée à se prononcer) et les moyens d’y parvenir. Les espoirs mis dans l’élection d’un Conseiller d’Etat du parti des Verts, que les électrices et électeurs pouvaient légitimement penser acquis à la cause environnementale, et qui par conséquent eût pu être le garde-fou d’une politique ultra-libérale portée par ses prédécesseurs, ont immédiatement été réduits à néant. Comment résumer ce chapitre genevois de la légendaire démocratie suisse après trente mois d’activité activiste, qui nous laissent un (dé)goût amer ?

A chaque épisode son lot de pas de travers. A chaque dossier remis en question, sa fin de non-revoir et de non-recevoir. Aux démarches entreprises par les contestataires, les pétitionnaires, les référendaires et autres recourantes et recourants, la marche en crabe des décideurs et de leurs escouades juridiques. Comme chacun devrait bien le savoir, « la loi du plus fort est toujours la meilleure » ; le droit est du côté des promoteurs. Toute les tentatives d’oppositions sont déboutées, mises en pièces, retournées aux expéditrices. Les doléances arrivent trop tard, la CMNS n’est que consultative, le PLQ est adopté, les décisions sont prises, il y a eu pesée d’intérêts (toujours du même côté), vous n’avez pas la qualité pour agir, et si vous l’avez, c’est non quand même, l’argent est engagé, il y a des droits à bâtir. Jamais la vox populi n’aura pareillement été bafouée, jamais le peuple ne s’est senti autant largué par ses élites : abruti par toute cette violence, désespéré de la rapidité avec laquelle se meu(r)t son monde, il oscille entre abattement et tristesse lorsque tombent un à un les repères qui ont balisé son chemin (de vie).

Le rythme des opérations s’est accéléré, tandis que Contre l’enlaidissement de Genève demandait un moratoire d’une année en 2017, le temps de mettre à plat tous les projets d’importance concernant le territoire genevois et de soupeser leur bienfondé. Rien à faire pour stopper ou ralentir l’effrénée machine immobilière. Chaque jour amène son lot de destructions et d’abattages au grand dam des riverains. Tandis que le martinet noir est en voie d’extinction sur notre territoire, on s’apprête à bétonner les rares et précieuses poches de verdure urbaines qui subsistent et que l’urgence climatique imposerait de conserver au titre de havres de biodiversité en symbiose avec une diversité architecturale qui détermine la qualité de notre tissu culturel.

Bizarrement c’est l’évaluation même du patrimoine qui semble avoir du plomb dans l’aile. Alors qu’on devrait en toute logique ajouter à la valeur des bâtiments, leur valeur d’ensemble dans un quartier, la valeur de la végétation les accompagnant, on décrète qu’un arbre exceptionnel se mesure au périmètre de son tronc et qu’un bâtiment exceptionnel s’évalue au nom de son architecte. La sous-évaluation du patrimoine prémoderne de villégiature est inversement proportionnelle du prix du m2 constructible. Le Recensement Architectural du Canton (RAC), lancé en 2015, revoit à la baisse moult résultats de recensement antérieurs, notamment ceux du Recensement architectural de la périphérie urbaine (RAPU). Comment expliquer qu’un bâtiment perde de la valeur avec les années ? Comme les vins, le patrimoine s’est de tout temps bonifié avec le temps ; c’est ce qu’a démontré toute l’histoire des recensements architecturaux jusqu’à notre égarement actuel.

Aux yeux de la loi l’urgence climatique devrait être le fait nouveau d’importance indiscutable à prendre en considération dans l’aménagement d’un territoire et la gestion de son patrimoine bâti, paysager, naturel, animal et humain. L’alibi du logement a eu bon dos pour légitimer le carnage du territoire. Plus personne n’est dupe que cet urbanisme d’affairistes n’a rien de philanthropique.  Logeons dans les presque 500.000 m2 de bureaux vides (les Genevois avaient voté pour), logeons dans les logements vides, favorisons l’échange de logements plutôt que de prendre en otages les locataires. Qui aujourd’hui pour décemment soutenir en son âme et conscience que la politique du bulldozer et la densification massive sont la promesse d’un avenir radieux, d’un avenir tout court ?

Le coût humain des opérations de délogements a-t-il seulement été mesuré ? Qui peut s’arroger le droit de déplacer une partie de la population ? Par intimidation, par harcèlement parfois même. Qui peut légitimer le fait d’amputer un être humain de son quartier, de ses racines, de son contexte ? Un quartier, quel qu’il soit, c’est du tissu social, des voisins qui se connaissent, qui ont leurs habitudes de vivre ensemble, des repères intrinsèquement liés à leur quotidien. Prendre la responsabilité de déchirer ce tissu impalpable, mais vivant, d’en tirer les fils sanglants, dépasse les autres forfaits. Le crime commis contre l’architecture a pour corollaire un crime contre la Nature, et, finalement, un crime contre l’humanité.

L’avenir, radieux ou pas, s’il existe encore, s’arrachera à l’apocalypse au prix d’un immédiat changement de cap. Alors que la notion même de progrès est légitimement mise en cause et celle de modernité terrassée par ses revers de médailles, il n’est plus l’heure de se réclamer du Baron Haussmann ou des reconstructions sur les fortifications. Le temps n’est plus aux grands travaux. En l’état dévasté du monde, il est urgent de renoncer à des « droits à bâtir » tout aussi indécents que des « droits de polluer » ! Car c’est un fait que les compagnies immobilières polluent notre sol en anéantissant notre culture et notre nature tout comme les compagnies aériennes polluent nos cieux. C’est donc aux milieux immobiliers que s’adresse cette supplique urgente : Modérez vos appétits, respectez l’histoire et la nature, considérez le long terme, aidez-nous à sauver le monde, maintenant !

9 réflexions sur « Supplique pour un « avenir (radieux) » »

  1. Bravo Leila tout est parfaitement résumé. Je suis en accord total avec toi tu le sais déjà. Lamentable ce qu’ils se permettent de faire alors que chaque jour on les prend la main dans le sac d’irrégularités. Ça résume leur attitude générale et les droits qu’ils s’arrogent tous seuls au détriment de tous. Super texte BRAVO
    J’aimerais pouvoir le copier et le mettre sur mon mur FB. T embrasse Fränzi

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  2. Le terme de supplique convient parfaitement à cette période de notre histoire genevoise. Quand le désarroi fait place à l’humilité et à l’espoir d’une faveur c’est que la messe est dite. Face à la violence symbolique de ces dévastations du patrimoine il ne reste que la révolte ou la résignation. La puissance financière, par la pression qu’elle permet, a faussé le jeu urbanistique et tordu le sens même de la vie en commun. Des décideurs, vivant dans des conditions de logement privilégiées, imposent à une population crédule et peu pugnace des bouleversements qui permettent aux premiers de consolider leur pouvoir et aux seconds de bien comprendre combien ils sont fragiles et dépendants. Rien de neuf quant au comportement humain, mais une innnovation en ce début de 21ème siècle : on est capable de faire accroire au bon peuple que tout cela est pour son bien et il l’accepte. Les avertissements du « Discours de la Servitude Volontaire » sont totalement oubliés. Le massacre du quartier de l’ancienne Gare des Eaux-Vives est une vivace illustration de cette dérive. Un monstrueux bâtiment occulte un espace qui se voulait place de rencontre, sa pesanteur faisant face à l’élégance des immeubles construits il y a plus d’un siècle. A nouveau l’arrogance et la cupidité écrasent de leur universalité les traces d’un monde, certes ni plus tendre ni plus égalitaire qu’aujourd’hui, mais encore tenu par quelques règles obsolètes tenant la beauté pour principe élémentaire. Un projet encore peu clair semble même vouloir détruire le dernier espace de nature sauvage au chemin Clos Belmont surplombant la nouvelle gare. Après le hardi bétonnage de la place de jeu de l’avenue Weber, le terrain de jeu de la Maison de Quartier de Saint-Antoine serait promis à une proche disparition au profit de constructions encore indéfinies. Parler de la nécessité de conserver des lieux pour le renouvellement d’une faune et d’un monde des insectes en pleine déconfiture ne sert qu’à endormir les pacifiques et rassurer les sceptiques. Pendant ce temps les profits piaffent et les machines avancent. Il faut bien que ce monde tourne, même en bourrique.

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  3. Merci pour ce texte qui est une forme de réquisitoire contre une politique qui semble clairement orientée vers le besoin de produire un bilan positif en matière de production de logements et non vers un production à la fois qualitative et respectueuse de l’environnement au sens large (naturel comme bâti).
    Le problème central que pose la vision actuelle du responsable politique est que cette politique est en rupture manifeste avec ce qui constitue le « coeur d’action » de sa formation politique.
    La sous question est donc de savoir si, outre les groupies qui l’entourent, ce magistrat répond bien aux préoccupations qui l’ont porté là où il est. La réponse à cette question est, à première vue, négative puisque la politique qu’il conduit porte atteinte lourdement à la protection du patrimoine bâti et, au vu du rythme de production, à la qualité de vie. Ce qui m’échappe totalement c’est qu’un magistrat qui doit son élection aux milieux proches de l’environnement puisse conduire une action publique qui va à l’encontre des préoccupations liées à la sensibilité politique qui l’a porté au pouvoir.
    Quant au milieux immobiliers, votre appel est pertinent mais, malheureusement, il tombe à côté car ces personnes sont en quête de profit, sans état d’âme.
    Merci Madame pour votre billet.
    Patrick Dimier, député

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  4. Entièrement d’accord avec cet excellent article qui reflète très exactement le désespoir des habitants de cette cité dont les droits sont bafoués tous les jours, dont la biodiversité et la mémoire sont saccagées. A l’heure où il y a urgence en ce qui concerne le climat et puisque nos autorités n’en prennent absolument pas la mesure, il faut impérativement que nous, habitants de ce canton, reprenions les rennes de ce qui, au final, nous revient.

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  5. La vision du développement de Genève par notre conseiller d’Etat « Vert », publiée récemment dans la TdG est simple. Genève est une métropole qui doit accepter son sort. Pour cela tout est bon. il faut densifier les quartiers de vie existants en faisant fi du patrimoine, de notre histoire, de notre biodiversité, de nos liens sociaux, de nos espaces de vie. La qualité de vie des résidents et les atouts qui ont fait de Genève ce qu’elle est encore (pour combien de temps ?….) n’a pas de place dans cette réflexion. Pour se donner bonne conscience, Monsieur A. Hodgers vend l’idée totalement saugrenue que l’on limitera ainsi la circulation des pendulaires en partant du principe que ces pendulaires vaudois et français voudront venir habiter dans les horreurs architecturales et le béton qu’on leur offre en pâture. Qu’une telle politique avec de tels propos dans le contexte actuel soit encore possible me laisse pantois, particulièrement quand elle est menée par un « Vert… » Le soutien qu’il obtient par ses pairs du parti au Grand Conseil me surprend tout autant. Aucune esquisse de remise en cause du modèle de destruction actuel qui nous conduit au désastre. Rien. Absolument rien sur le fond. Merci Leila pour cette article d’une grande sensibilité et justesse. La société civile et les associations sont certainement une des voies prioritaires pour faire arrêter cette politique, ces destructions et cette mégalomanie.

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  6. Le terme de supplique convient parfaitement à cette période de notre Histoire genevoise. Quand le désarroi fait place à l’humilité et à l’espoir d’une faveur c’est que la messe est dite. Face à la violence symbolique de ces dévastations du patrimoine il ne reste que la révolte ou la résignation. La puissance financière, par la pression qu’elle permet, a faussé le jeu urbanistique et tordu le sens même de la vie en commun. Des décideurs, vivant dans des conditions de logement privilégiées, imposent à une population crédule et peu pugnace des bouleversements qui permettent aux premiers de consolider leur pouvoir et aux seconds de bien comprendre combien ils sont fragiles et dépendants. Rien de neuf quant au comportement humain, mais une innnovation en ce début de 21ème siècle : on est capable de faire accroire au bon peuple que tout cela est pour son bien et il l’accepte. Les avertissements du « Discours de la Servitude Volontaire » sont totalement oubliés. Le massacre du quartier de l’ancienne Gare des Eaux-Vives est une vivace illustration de cette dérive. Un monstrueux bâtiment occulte un espace qui se voulait place de rencontre, sa pesanteur faisant face à l’élégance des immeubles construits il y a plus d’un siècle. A nouveau l’arrogance et la cupidité écrasent de leur universalité les traces d’un monde, certes ni plus tendre ni plus égalitaire qu’aujourd’hui, mais encore tenu par quelques règles devenues obsolètes édictant la beauté comme principe élémentaire. Un projet encore peu clair semble même vouloir détruire le dernier espace de nature sauvage au chemin Clos Belmont surplombant la nouvelle gare. Après le hardi bétonnage de la place de jeu de l’avenue Weber, le Centre Aéré de la maison de quartier Chausse-Coq serait promis à une proche disparition au profit de constructions encore indéfinies. Parler de la nécessité de conserver des lieux pour le renouvellement d’une faune et d’un monde des insectes en pleine déconfiture ne sert qu’à endormir les pacifiques et rassurer les sceptiques. Pendant ce temps les profits piaffent et les machines avancent. Il faut bien que ce monde tourne, même en bourrique.

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  7. Un grand merci à vous madame pour cet excellent billet et aussi pour votre courage, car ça ne doit pas être facile de penser comme ça à l’Univeristé de Genève où la très grande majorité est inféodée à la pensé bobo-gaucho-mondialiste, comme le sont A. Hodgers et tant d’autres. Tout sauf les verts nuisants, la gauche caviar et la droite affairiste qui travaillent tous main dans la main!

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  8. Un article très éclairant qui donne et explique de trop nombreux dysfonctionnements. Il est de notre responsabilité à toutes et tous d’agir maintenant, quitte à être hors la loi. Tous les moyens légaux sont bafoués et par ses actes l’état jugule nos voix, nos lieux de vie et notre avenir . Nous ne laisserons pas faire.

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  9. Bonjour,
    Toutes mes félicitations pour ce réquisitoire contre ces faux-jetons de politiciens.
    Cela me rappelle une réplique célèbre: « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ». (Michel Audiard).
    Ne devrions-nous pas installer une bétonneuse dans le jardin de ce soi-disant écologiste de M. Hodgers?
    Meilleures salutations.
    C. Demierre

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