Apôtres de la sobriété heureuse, l’agriculteur octogénaire Pierre Rabhi et l’ancien premier ministre du Bouthan, Jigmi Y. Thinley, ont fait salles combles à l’Université le 16 avril dernier sur le thème «Bonheur national brut, utopie ou réalité?» Ce furent ainsi quelques 1500 adeptes qui assistèrent dans l’un des trois grands amphithéâtres d’UniDufour et UniBastions à cette présentation. Chacun venait réentendre que l’argent ne fait pas le bonheur, que l’écologie est affaire de conscience davantage que de politique, que la décroissance s’impose sur notre planète finie, aux ressources surexploitées. Rabhi et Thinley s’exprimaient en Suisse, « le pays receleur de tout l’argent issu de la malhonnêteté » aux dires prêtés à Pierre Rabhi (Bilan, 12 avril 2018, http://www.bilan.ch/economie-plus-de-redaction/systeme-humain-entierement-domine-largent). Comment mettre en perspective hic et nunc les propos des deux conférenciers face à cette annonce d’un élu Vert genevois dont l’effet n’est pas passé inaperçu: « densifier est un acte d’écologie ».
Petite métropole qui aspire à être grande, Genève opère une mue inscrite au Plan Directeur cantonal 2030 qui est tout sauf une transition douce et écologique. Au prétexte de circonvenir le problème du trafic pendulaire d’une agglomération en plein boom économique, mais en vérité pour capter des ressources fiscales, le choix opéré par une majorité libérale a été celui de concentrer l’essentiel du développement du Grand Genève dans le mouchoir de poche cantonal. Le ministre Vert qui a repris la tête du Département de l’Aménagement, de l’Equipement et du Logement, a déçu tous ceux qui l’ont placé à ce poste, en ne faisant que mettre à exécution le programme établi par ses prédécesseurs Libéraux-Radicaux. Sans qu’aucun filtre vert ne vienne nuancer ou tempérer les perspectives d’une croissance artificiellement dopée par un monde politique hermétique au bien commun, qui envisage même, sans émettre de doutes, le développement exponentiel de ce « poumon économique et social » qu’est l’aéroport de Cointrin!
Contrairement à ce que proclame notre ministre Vert, densifier n’est pas faire acte d’écologie. L’histoire des villes et de l’urbanisme dénonce depuis longtemps le désespérant modèle de la mégapole, qui s’est généralisé mondialement néanmoins, tout en étant voué à l’échec. Parce que les vraies valeurs d’une ville sont ailleurs. Levis Mumford dans son ouvrage majeur, The City in History, its Origins, its Transformations and its Prospects (1961), n’affirme-t-il pas déjà: « La conception physique des villes et leurs fonctions économiques sont secondaires à leur relation à l’environnement naturel et aux valeurs spirituelles de la communauté humaine. » Densifier violemment comme on le fait maintenant à Genève n’est certainement pas faire acte d’écologie. Est-il écologique de rayer brutalement de la carte des quartiers homogènes et leur cohérence sociale? Est-il écologique d’abattre des forêts et réserves de verdure pour faire place à des infrastructures et des entassements immobiliers? Est-il écologique de détruire et reconstruire sans évaluer finement le coût en énergie grise et valeur patrimoniale? Tout l’argumentaire qui soutient l’application du Plan Directeur Cantonal 2030 est spécieux et sert en fin de compte principalement à défendre les intérêts de la machine immobilière qui ne fait jamais assez de profits.
Comme génération spontanée, des mouvements citoyens et des associations, qui ne demandent qu’à grandir, sont nés de ce magmas bétonnier. A « Contre l’enlaidissement de Genève » (nov. 2016) https://www.facebook.com/contrelenlaidissement/ ont emboîté notamment le pas Sauvegarde du Petit-Saconnex https://www.sauvegarde-petit-saconnex.ch/, puis Sauvegarde Genève https://www.sauvegarde-geneve.ch/. Comme souvent la population est en avance sur ses élites et forme d’autres rêves. Pourquoi ne pas vouloir reconnaître, tous partis confondus et pendant qu’il est encore temps, que le Plan Directeur cantonal 2030 est une erreur qui conduit Genève et sa région dans le mur en lui faisant perdre les qualités rares et recherchées qui étaient les siennes? Déjà les étrangers se détournent de cette Genève qui perd son âme.
Mentionnée comme tête de pont par Jules César dans son De Bello Gallico en 52 av. J.-C., Genua n’a cessé d’être célébrée au cours des siècles pour son site exceptionnel et son rapport à la nature environnante. Le poids d’une histoire riche et hospitalière s’est incrustée dans les successives couches d’un urbanisme en oignon, dont le plan de Léopold Blotnitzki (1858) pour la reconstruction à l’emplacement des fortifications, marque l’apogée. Tandis que la section genevoise du Heimatschutz se constituait à Genève au début du XXe siècle pour lutter contre les démolitions du patrimoine médiéval (Tour de l’Ile, Tour Thelusson, etc.), les travaux de Paul Aubert portaient à la fin des années 1920′ l’attention sur les spécificités des entités villageoises. Des mesures de sauvegarde allaient progressivement se mettre en place pour préserver l’architecture locale, les ensembles constitués, les subtiles relations du bâti à l’environnement. Dès lors, et comme le prouve le développement, pour ne pas dire la dynamisation, chaotique que nous subissons impuissants, comment lire autrement que comme une volonté de démantèlement des protections les adoptions successives de la Loi sur les surélévations, puis du Plan Directeur Cantonal 2030?
Il est encore temps de faire acte d’écologie à Genève plutôt que de manifester des regrets. Saccager le périmètre du Jeu de l’Arc et des maisons voisines aux Allières (dont toutes les instances patrimoniales avaient réclamé la conservation), aujourd’hui abritées dans une incroyable forêt urbaine, où l’on pourrait même imaginer de la permaculture, est une erreur dont on se mordra les doigts jusqu’au sang. Détruire la propriété des Feuillantines (Place des Nations), sa maison de maître conservée intacte, son parc de valeur inégalable dans un quartier en voie de densification est une faute environnementale et patrimoniale majeure. Ce ne sont que deux exemples saillants parmi tant d’autres projets de démolitions, reconstructions, transformations. Ce n’est pas en érigeant une attraction autre que le Jet d’eau que Genève-Tourisme fera revenir les visiteurs. Plutôt que de continuer à banaliser aveuglément le territoire, maintenons et valorisons maintenant ce qui subsiste des richesses patrimoniales et environnementales d’une ville et d’un canton bénis des dieux! Nous emboîterons alors le pas de la sobriété heureuse évoquée par Rabhi et ferons réellement acte de culture et d’écologie.
Quelle justesse d’analyse, jusque dans les moindres détails! Cet article devrait faire la une de La Tribune ou du Temps et être lu lors de l’investiture des nouveaux conseillers d’État!
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