Trois lacs importants caractérisent la région franco-valdo-genevoise : le vaste Léman au creux d’un ample bassin, le sauvage lac du Bourget dominé par la ville d’Aix-les-Bains, le pittoresque lac d’Annecy aux rivages escarpés. Vu d’avion ce Lake District du Mont-Blanc, récemment qualifié de Savoie des lacs, se présente comme une entité géographique évidente, dont pourtant le développement s’est fait de manière inégale au gré des circonstances politiques et touristiques. Tentons à propos de ces « territoires lacustres » (qui intéressent très largement de nos jours) et du « désir de vue sur lac » quelques considérations générales sur la villégiature, quand bien même la recherche fondamentale n’est encore en certains lieux que très fragmentaire.
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Dès le XVIIIe s. les charmes paysagers du « Lac de Genève, de Lausanne ou de Thonon», comme on appelle indifféremment alors le Lac Léman, sur le grand axe routier nord-sud, sont découverts, tandis que ceux du Lac d’Annecy se cachent encore, au creux d’un bassin replié, mal relié et peu connu, aux confins du Royaume de Piémont-Sardaigne. Les touristes anglais, qui transitent par la rive droite du Léman en direction de l’Italie, font étape dans la légendaire et lacustre Auberge Dejean à Sécheron face au Mont-Blanc ou à l’Hôtel d’Angleterre (Ouchy), merveilleusement situé les pieds dans l’eau. Célébrés par Rousseau les hauts de Clarens incarnent quant à eux le romantisme naissant et la nouvelle esthétique paysagère. Julie ouvre les « volets verts » de sa « petite maison blanche » sur un lac d’azur dans lequel se mirent les Dents du Midi, joyau des Alpes vaudoises, un paysage célébré un siècle plus tard par Gustave Courbet venu chercher refuge près du Château de Chillon. Le promeneur solitaire de l’Ile St-Pierre révèle à ses contemporains la nature sauvage et les lacs. L’Europe des arts et du sensible lui emboîte le pas. Dans ce contexte les patriciens genevois et vaudois découvrent les vues bien avant leurs contemporains savoyards. Pourtant les charmes du lac d’Annecy sont célébrés dès la fin du XVIIIe siècle et le médiatique explorateur genevois du Mont-Blanc, Horace-Bénédict de Saussure, s’extasie en 1780: « […] ces points de vue variés sur l’eau, peu profonde de ce petit lac, et sur les montagnes escarpées qui l’entourent ont tous quelque chose de mélancolique et de sauvage, mais qui intéresse et attache ».
L’architecture de villégiature lémanique a fait l’objet de nombreuses étudesdesquelles il ressort que le phénomène prend ses racines au XVIIe siècle déjà : le syndic Rozet fait en effet construire aux portes de Genève une demeure dont les inoubliables parterres à la française se déroulent jusqu’au lac. Il faut cependant attendre encore pour que le souci des vues sur lac s’exprime pleinement dans les écrits et dans l’architecture. Aimantées par le panorama majeur du lac combiné au Mont-Blanc, les maisons de campagne genevoises tournent, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, leur belle façade en direction de l’exceptionnel prospect. Nommée La Fenêtre, comme la demeure du paysagiste et théoricien anglais Humphrey Repton, la maison de Jean-Jacques de Sellon à Pregny (1819) est principalement un belvédère dévolu à la contemplation du beau paysage, comme le seront ses voisines, la « folie » Saladin de Lubières, Montriant, La Pastorale. Les pignons et les frontons des campagnes vaudoises pivotent pareillement en direction du Léman, comme celui de l’Elysée (Lausanne, c. 1780) aux inflexions baroques ou celui de La Gordanne (Rolle, 1800), réplique d’une villa palladienne de John Plaw à Belle Isle (Windermere), au cœur du Lake District britannique ; cette exceptionnelle maison, sortie d’un traité d’architecture, profite d’une vue dégagée sur le lac et les montagnes de Savoie. Tandis que l’architecture de villégiature fleurit dès la fin du XVIIIe siècle sur les côtes helvétiques du Léman, il semble n’y avoir guère alors, au bord du lac d’Annecy, que le seigneur de Château de Duingt pour moderniser sa médiévale bâtisse en tentant d’introduire l’aménité du Grand Siècle et exploitant le charme des vues. Posée sur la rive ouest du lac du Bourget, demeurée sauvage jusqu’à nos jours, l’abbaye d’Hautecombe, détruite lors de la Révolution française, enchantera quant à elle le prince Charles-Félix de Piémont, qui chargera son ingénieur de cour, Ernesto Melano (1824-1830), de la restaurer en style Troubadour. Ce site, magnifiquement préservé dans le vaste domaine qui est le sien, demeure de nos jours encore l’une des vues les plus singulières du Lac du Bourget.
Les transports et le tourisme sont les moteurs du développement architectural et urbain des villes lacustres. Les premiers bateaux à vapeur révolutionnent complètement la perception des lacs et de leurs abords. Dotée du Guillaume Tell en 1824, Genève amorce un complet retournement urbain, bien étudié: chaque passant peut désormais jouir de points de vue nouveaux le long des quais-promenades, tandis que les touristes fortunés contemplent au couchant le lac et le Mont-Blanc rougeoyant, du haut du belvédère installé sur les toits de l’Hôtel des Bergues, premier palace de luxe de Suisse inauguré en 1834. Très vite le Winkelried, le Léman, l’Aigle sillonnent le Léman qui voit surgir à proximité des débarcadères les palaces néo-classiques de la première génération : Vevey se dote de l’hôtel des Trois Couronnes (1842) qui ouvre ses croisées sur le lac et les Dents du Midi, tandis qu’Ouchy s’augmente de l’hôtel Beau-Rivage (1857), construit par Francis Gindroz. Au même moment Annecy et Aix-les-Bains inaugurent des hôtels urbains de style Napoléon III, respectivement l’Hôtel d’Angleterre (1857) ou l´Hôtel Royal de Savoie (1854-1857) pour tenter de rivaliser avec le parc hôtelier lémanique, mais sans considérer prioritairement la question des vues.
Annecy doit attendre le Traité de Turin et le rattachement de la Savoie à la France pour voir se développer véritablement le tourisme Ebloui par ce site, Napoléon III lance véritablement la navigation à vapeur et inaugure sept débarcadères (Veyrier, Menthon, Talloires, Doussard, Duingt, Saint-Jorioz, Sevrier). La Couronne de Savoie est au lac d‘Annecy ce que le Guillaume Tell a été au « lac de Genève ». Longtemps repliée le long du Thiou et détournée de ses rives marécageuses, Annecy opère alors sa mue. Les rivages lacustres trouveront bientôt d’autres preneurs que les populations autochtones, même si la construction des hôtels riverains richement dotés de balcons regardant le lac tarde à survenir: Davantage que le modeste Pavillon des Fleurs de Menthon (1895 – transformé en hôtel en 1905), ou que le Beau-Rivage à Sévrier, ce sont les deux grands établissements éclectiques de l’architecte annécien Joseph-Louis Ruphy, soit le Palace Hôtel de Menthon (1907-1912) et l’Impérial d’Annecy (1912), qui marquent le paysage. Leur architecture éclectique reste toutefois en deça du foisonnement balnéaire lémanique, incarné dans les palaces du Vaudois Eugène Jost (Montreux-Palace, Hôtel des Alpes et de Territet) ou du Parisien Albert Hébrard (Hôtel Royal, Evian), en deça aussi des exubérances Modern Style du Genevois Alfred Olivet (Excelsior, Aix-les-Bains (1906). Au pied du plateau du Revard, Aix-les-Bains continue toutefois de contempler son lac de loin : le point de vue des petites pensions comme des grands hôtels demeure celui chanté par Lamartine dans son inoubliable poème Le Lac (1817).
Le caractère international de la villégiature lémanique s’accentue au courant du XIXe siècle. Des étrangers fortunés, avides de vues et de panoramas, s’établissent sur les bords célébrés du Léman et favorisent la recrudescence des modèles internationaux. Les Prix de Rome et autres architectes métropolitains opèrent ! Félix Emmanuel Callet conçoit pour les frères Bartholoni l’exceptionnelle Perle du Lac, qui sera recopiée pour Otto Wesendonck sur les bords du lac de Zurich quelque temps après. L’Anglais Robert Stokes dessine l’éclectique Château Rothschild de Pregny (1860) qui surplombe le lac et le Mont-Blanc. Jean-Camille Formigé construit à l’entrée d’Evian la magnifique Sapinière pour le baron Vitta (1892), tandis qu’Emile Trélat, fondateur de l’Ecole spéciale d’architecture à Paris, dessine la Villa Prangins (1875) pour le Prince Napoléon avec son étonnant belvédère asymétrique. Vincent Dubochet inaugure les gestes grandiloquents avec la hune panoramique de son Château de Crête (1864) qui domine le site de Clarens, tout comme, plus tard, l’excentrique Château de la Roche du Roi (1897-1900), imaginé par l’architecte aixois Jules Pin l’aîné, sur les modèles internationaux de la villégiature balnéaire, se signalera comme le nouveau phare du Lac du Bourget !
Sur les bords du lac d’Annecy rien de la richesse tapageuse des chevaliers de l’industrie ou de la haute finance, qui ont élu domicile sur la Riviera lémanique ou aux abords des stations thermales d’Evian et d’Aix ! Les rivages se peuplent progressivement de belles maisons cossues aux allures villageoises, tapies dans le paysage de sorte à en capter les spectacles changeants. A la recherche de quiétude et d’inspiration, des écrivains et des artistes, comme Hippolyte Taine, Charles Coppier et Albert Besnard, viennent s’établir saisonnièrement ou à l’année à Talloires. Le magnifique coup d’œil que l’on a de là en direction de la presqu’île de Duingt sera immortalisé par Cézanne dans Le Lac bleu (1896). Cette « colonie d’artistes » privilégie les caractères de l’architecture vernaculaire au détriment des modes cosmopolites, même si Coppier baptise Pergola une demeure qui n’a en fin de compte que peu de sang italien en regard des lémaniques Perle du Lac ou d’une Sapinière ! Non loin de là, à Menthon St-Bernard, c’est un village de seize maisons de vacances empreintes d’ « un petit air savoyard », inspirées des fermes traditionnelles, qui sera réalisé dans les années vingt. Fernand Maillot a peut-être en tête les villas Dubochet de Clarens lorsqu’il allie résidence de plaisance et promotion immobilière pour le compte de la Société immobilière savoyarde.
Précoce promoteur de la villégiature annécienne l’architecte lyonnais Marius Vallin engage d’importants travaux pour la valorisation des Gorges du Fier (1869) avant de proposer la construction d’un chalet-hôtel au sommet du Semnoz (1872-1876). Ce sommet offre un panorama exceptionnel sur l’ensemble du Lake District du Mont-Blanc, ce qui lui vaut d’être comparé au Mont-Righi (Lucerne), étalon-mesure des vues panoramiques. La publicité vante en effet « Le Semnoz-Alpes, Rhigi de la Savoie, vue splendide sur les Lacs d’Annecy, du Bourget, du Léman ». Par la suite les hôtels d’altitude avec vue sur lac se multiplieront dans le territoire du Mont-Blanc pour culminer en 1899-1902 avec le Palace de Caux, titanesque invention d’Eugène Jost. Conçus autour des nouveaux divertissements que sont les sports d’hiver, ces établissements offrent néanmoins à leurs hôtes d’extraordinaires vues imprenables sur les lacs, qui, à distance, se signalent comme quelque « turquoise égarée » ou comme quelque surprenant joyau des Alpes.
(Article publié dans Avec Vue sur lac, catalogue de l’exposition du Musée-Château d’Annecy, juin-octobre 2009)
La maison est tres belle. Je voudrais y vivre.
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