En Inde, par conviction religieuse, les Jaïns, si respectueux des autres espèces, marchent masqués et balaient devant leurs pas pour éviter d’avaler ou d’écraser une mouche par mégarde. En Suisse et ailleurs dans le monde occidental(isé), les grands prêtres de l’immobilier, sacrifient le vivant sur l’autel de l’économie. Ils retournent la pleine terre, massacrent la vie souterraine et terrestre (insectes, reptiles, mammifères, végétaux), font taire les oiseaux. Bien trop flou et bien trop étroit, le concept de « culture du bâti » présenté en 2021 par l’Office fédéral de la culture arrive bien tard pour tenter de freiner des pratiques constructives globales inattentives au Genius loci. Or pour sauver notre planète c’est à respecter le « génie (et la matière) du lieu », partout, qu’il faut s’atteler urgemment. L’incidence de chaque nouveau chantier doit être dûment soupesée. Les politiciens sont-ils conscients que derrière la ligne budgétaire qu’ils engagent pour un nouveau projet, ce sont corollairement des arrêts de mort qu’ils signent ? D’inestimables arbres centenaires qui tombent, des quartiers de villas et jardins séculaires qui disparaissent, des forêts habitées qui s’évanouissent au profit de nouvelles constructions et infrastructures. Pour se dédouaner de ces pertes paysagères et culturelles, on « minergise » et on végétalise à tout crin des terres mortes. Plutôt qu’abattre et détruire ce qui nous reste du légendaire paysage culturel alpin, inspirons-nous de la radicale philosophie Jaïne et respectons le vivant et l’existant !
Leïla el-Wakil, architecte EAUG, Dr Pr histoire de l’architecture UNIGE, secrétaire de SOS Patrimoine CEG (Contre l’enlaidissement de Genève) à paraître dans Anthos, l’annuaire de l’architecture paysagère suisse, « Radical », 2022.