Marcher pour les arbres après les Allières

Trois cents à trois cents cinquante personnes ont défilé de l’Ile Rousseau, bien bétonnée en 2012 https://www.ville-geneve.ch/themes/amenagement-construction-energie/amenagement-espace-public/amenagements/realisations/rousseau/ jusqu’à la Treille, munies de ce qu’il fallait de pancartes, banderoles, etc. Sauvegarde Genève avait bien organisé la chose suivi par d’autres associations, parmi lesquelles SOS Patrimoine. Contre l’enlaidissement de Genève. Pour certains ce fut la marche d’après Hiroshima, d’après la bombe, d’après l’éradication de la forêt des Allières, dont Genève n’est pas prête de se remettre. Pour d’autres ce fut l’occasion de se rallier, de sortir du bois (qui n’existe plus), de faire un coming out tardif. Pour d’autres encore, plus nouvellement acquis ou conquis à la cause de manifester l’entrain et l’enthousiasme de celles et ceux qui vont encore sauver le monde.

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Mais c’est s’illusionner d’imaginer aujourd’hui réparer le quart de la moitié des dégâts commis en l’espace de quelques années au nom d’un a priori de développement erroné au service du monde économique (plus précisément de la Chambre immobilière), l’immobilier étant devenu en raison des taux d’intérêt négatifs le dernier refuge où placer de l’argent. Un argument fallacieux n’a cessé d’être répété en boucle pour expliquer l’hécatombe : faire revenir à Genève les personnes travaillant à Genève pour éviter le trafic pendulaire. Le parti urbanistique de densification massive, arrivant trop tard (à l’heure du réchauffement climatique), sous la magistrature d’un conseiller d’état vert dont la population espérait tout autre chose, a fait fi du patrimoine, de la biodiversité, de la nature en ville et dans tout le canton au mépris de l’histoire culturelle du lieu et du tissu social, ce qui est probablement aussi important que l’histoire naturelle du lieu.

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Des quartiers entiers ont été dévastés comme les Allières bien sûr dont la vidéo de la sauvage démolition du Jeu de l’Arc https://www.facebook.com/contrelenlaidissement/videos/726329367815628/ a fait le tour du monde, suscitant des commentaires scandalisés des antipodes devant la bestialité de l’attaque. Sous d’autres latitudes ou longitudes on n’en revient encore pas de l’iconoclasme genevois à l’oeuvre! Avoir massacré la porte palière du Jeu de l’Arc, irremplaçable ouvrage de menuiserie datant de 1900, est une abomination sans nom dans un pays qui se pense civilisé.

Le Plateau de Lancy a été rayé de la carte, de même que les villas de Châtelaine et celles des abords de Carouge; des quartiers entiers vont l’être encore comme les Vernets, à cause d’un projet hors d’échelle en ville, la Petite Boissière, l’Amandolier, le Cénacle, etc., etc … si on ne décide pas un moratoire immédiat de tous les PLQ, déclassements de zone et autres mesures démesurées. Les chantiers sont partout, les routes éventrées, les immeubles surélevés, les vides comblés, l’entassement de la population en passe de se réaliser. La Belle Genève avec jardins, verdure, demeures n’est plus! Même son grand paysage légendaire, immortalisé par Konrad Witz dans la Pêche miraculeuse, la vue de la rade en direction du Mont-Blanc, protégé par la LPN, est maintenant sali d’émergences qui entachent sa lisibilité.

Georg Germann dans l’excellent petit livre qu’il a coécrit avec Dieter Schnell, Conserver ou démolir? Le patrimoine à l’aune de l’éthique, Infolio, Archigraphy, Gollion, 2014, p. 34, exprime le sentiment de perte qui est celui des habitants lorsque leur cadre de vie est bouleversé et préconise une évolution raisonnée du territoire suisse : « Ce n’est pas la lente et constante transformation de l’environnement, mais celle qui est abrupte ou au contraire insidieuse; c’est le changement qui provoque un sentiment d’impuissance; ce n’est pas la perte, mais l’accumulation de pertes; ce n’est pas le chagrin de se voir privé d’un souvenir personnel, mais le deuil d’éléments d’identité collective; ce n’est pas seulement la qualité de l’objet perdu, mais la quantité des disparitions qui exigent une impérative et consciencieuse intervention dans le domaine de la « Suisse bâtie ».

7 réflexions sur « Marcher pour les arbres après les Allières »

  1. Merci beaucoup Madame,
    Tout cela me rend malade. Et dire que la Tribune tente de ridiculiser les manifestants avec ce titre que je trouve clairement moqueur: « Armés de slogans et de certitudes, les défenseurs des arbres défilent en ville ».
    Pathétique presse aux ordres à l’indignation à géométrie variable.

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  2. Bravo Leïla pour ce mot!!! Défendre notre histoire bâtie comme arborée est un devoir de toutes et tous!!!

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  3. Merci Leila pour ce commentaire fort, juste, et … désespérant.
    Quant est ce que ce massacre organisé va cesser?
    Née à Genève, et y vivant depuis plus d’un demi siècle, la dégradation lancinante de la qualité de vie de notre belle ville est terrifiante.
    Bétonnage intensif, destruction permanente de l’environnement, du bâti historique, chantiers interminables et omniprésents, circulation chaotique et non maîtrisée, dégradations et incivilités récurrentes, Genève est malheureusement devenue un chaos à ciel ouvert.
    Combattre la destruction des arbres, de la biodiversité et vouloir sauver ce qui reste, est ridiculisé et balayé par des élus soi-disant verts, à la botte de promoteurs surpuissants, transformant cette ville agréable et humaine en Monopoly pour joueurs d’échecs avides et sans scrupules.’

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  4. Merci Madame pour votre mot clairvoyant et juste, il me semble un absolu de dénoncer à qui sert cet acharnement de changer Genève pour y faire une ville bétonnée, froide et sans charme. Sommes-nous pris dans un cercle vicieux aveuglant? Il est triste de devoir admettre que nos élus adulent ces faiseurs d’affaires (sortir Genève des chiffres rouge). Ces faiseurs d’affaires, pour leur part, ont bien compris le potentiel business et c’est la seule raison pourquoi ce canton est dans leurs intérêts. Lorsqu’il se seront copieusement servi de transformer Genève et lassé de ses opportunités, assouvi leur libido de démolisseur, ils iront saccager ailleurs. Être talentueux en affaire est un atout, mais non recevable et inacceptable si pratiqué sans étique et respect d’un patrimoine attrayant et stable, et plus est, pour certains (démolisseur) Genève, un pays, qui est devenu une terre d’accueil. Le ver est dans la pomme!

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  5. Bravo pour ce texte clair qui pointe les responsabilités non assumées de ceux qui ont pour mission officielle de perpétuer un mode de vie en voie de saccage accéléré. Nous avons les noms et de la mémoire. Mettre en lumière les faces cachées de ce bouleversement cantonal devrait être l’une des tâches du journalisme local. Nous espérons aussi des Erin Brockovich de chez nous. En attendant nous passerons sur la complicité du Conseil d’Etat pour en appeler à un réveil des individus puisque les partis politiques ne font pas leur travail. Où sont les membres des Verts capables de sonner le tocsin chez Monsieur Hodgers ? Soutenir Morisod, Federer, la TSR et la longeole sont des actes sympathiques. De même, envoyer Madame Mazzone à Berne démontre soit une grande envie de changement à l’échelle du pays, soit le désir d’éloigner du canton une femme de caractère aux arguments le plus souvent d’excellente tenue. Mais pour répondre aux ouvertures frénétiques de chantiers, questionnons sans répit nos édiles quant à leur vision de la Genève à venir. Posons sans détours la question des bénéficiaires de ce pénible chambardement. Il y a des personnes derrière ces décisions. Partout où nous découvrons un projet de démolition et de construction, plutôt que des lamentations et des indignations, trouvons les responsables, les motifs, les butins. Les temps nouveaux effacent inévitablement une large part des traces du passé, mais si cela se fait au détriment du plaisir de vivre dans ces lieux transformés sans consentement, il n’y a plus qu’à tirer la prise et laisser ces violences légales achever l’âme du canton.

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  6. Bravo pour ce texte clair qui pointe les responsabilités non assumées de ceux qui ont pour mission officielle de perpétuer un mode de vie en voie de saccage accéléré.
    Nous avons les noms et de la mémoire. Mettre en lumière les faces cachées de ce bouleversement cantonal devrait être l’une des tâches du journalisme local. Nous espérons aussi des Erin Brockovich de chez nous.
    En attendant nous passerons sur la complicité du Conseil d’Etat pour en appeler à un réveil des individus puisque les partis politiques ne font pas leur travail. Où sont les membres des Verts capables de sonner le tocsin chez Monsieur Hodgers ?
    Soutenir Morisod, Federer, la TSR et la longeole sont des actes sympathiques. De même, envoyer Madame Mazzone à Berne démontre soit une grande envie de changement à l’échelle du pays, soit le désir d’éloigner du canton une femme de caractère aux arguments le plus souvent d’excellente tenue.
    Mais pour répondre aux ouvertures frénétiques de chantiers, questionnons sans répit nos édiles quant à leur vision de la Genève à venir. Posons sans détours la question des bénéficiaires de ce pénible chambardement. Il y a des personnes derrière ces décisions. Partout où nous découvrons un projet de démolition et de construction, plutôt que des lamentations et des indignations, trouvons les responsables, les motifs, les butins.
    Les temps nouveaux effacent inévitablement une large part des traces du passé, mais si cela se fait au détriment du plaisir de vivre dans ces lieux transformés sans consentement, il n’y a plus qu’à tirer la prise et laisser ces violences légales achever l’âme du canton.

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