De Brazil à Genève

La saison cinématographique de CinéSiclique s’est ouverte le 26 février 2019, sous le Grand Dôme de Sicli, avec la projection de Brazil, le film-culte (selon la formule consacrée) de Terry Gilliam (1985). L’Association Pavillon Sicli qui inaugurait la manifestation s’est fendue d’une présentation qui a viré au maelström idéologique, où il était question de la Grossstadt, cette grande Genève de demain, la grande ville pour tout horizon, objet de toutes les convoitises … L’orateur principal de l’Association Pavillon Sicli, antichambre et chambre d’écho du pouvoir en exercice, à moins que cela ne soit le contraire (!), s’est ensuite enflammé pour le voile de béton industriel de Heinz Isler, jusqu’à le qualifier de temple. On a les idoles que l’on peut: ici, en l’occurrence, le Veau d’Or de la génération Holcim.

Brazil, fameuse dystopie orwellienne sortie de l’esprit de Terry Gilliam, est un long film très fatiguant dans lequel un héros aux prises avec de fantasmatiques amours traverse les épreuves d’un épouvantable monde totalitaire inscrit dans un cadre architectural effarant, où apparaissent les Espaces d’Abraxas enfantés par Ricardo Bofill à Noisy-le-Grand (1978-1983). un environnement mégalomane, au service d’une administration kafkaïenne, écrase l’individu réduit à n’être qu’une chiure de mouche. Avec un humour grinçant qui lui est propre, le réalisateur met en cause l’aspect politique et social de l’architecture et stigmatise une domestication de l’espace au service d’une société totalitaire.Résultat de recherche d'images pour "brazil film"

Les organisateurs projetaient-ils ce film-culte en toute innocence? Avaient-ils au contraire pris en compte le parallèle critique qu’il était facile d’établir entre la fiction cinématographique et la réalité locale de la destructuration chaotique en train de se faire sous nos yeux de chiures de mouches emplis de larmes ?

Les similitudes de Brazil avec le Grand Genève, de l’accouchement par le siège duquel nous sommes présentement en train d’assister, sont pourtant nombreuses. La nouvelle démocratie totalitaire, tout aussi tortueuse et kafkaïenne que celle du film dans son fonctionnement absurde, aveugle et irrémédiable, a dicté les nouvelles règles d’un canton d’1 M° d’habitants dans lequel elle ambitionne de nous voir évoluer. Et l’absurdité de ce monde en devenir (qui arrive beaucoup trop tard eu égard aux considérations environnementales qui devraient être celles de l’urgence climatique) saute de jour en jour aux yeux d’une population qui n’en peut mais et se voit dépossédée de tout ce qui faisait les valeurs, le charme et les ressources de résilience de son petit territoire. Les enceintes de béton et de pierre venue de Chine (comme à Pont-Rouge), de béton et de verre (comme à la Gare des Eaux-Vives), pour ne citer qu’elles, oppressent les quidams en les réduisant au rang d’infinitésimales créatures, des clones du Sam Lowry du film.

Pareillement aux héros du film se heurtant aux parois glissantes et absurdes d’un système qui dysfonctionne tout seul, les habitants de Genève se désespèrent de voir implacablement  changer leur cadre de vie par la volonté d’une poignée de décideurs qui imposent leurs images toutes tracées et non négociables. Se rebeller contre les errements de la machine administrative et son armada de juristes, prêts à parer toute éventualité d’insurrection, relève pour l’heure de la mission impossible.

Cependant, sans que l’on sache encore comment, le meilleur des mondes surviendra assurément contre les décideurs eux-mêmes et leurs visions dystopiques d’un autre âge. Et plutôt que de vouloir construire contre tout bon sens, on cherchera alors à comprendre.

 

 

 

%d blogueurs aiment cette page :