Plaidoyer pour un dézonage

Le premier découpage du territoire genevois en zones remonte au début des années 1920 à l’occasion de la création du Bureau du Plan d’extension, qui emboîte le pas à la théorie moderne de l’urbanisme de zonage, lequel vise prioritairement à éloigner les nuisances industrielles des quartiers d’habitation. A Genève ce zonage s’affine et se consolide dans les années 1950 avec pour préoccupation majeure la protection de la zone agricole, dont on perçoit, plus que partout ailleurs, la fragilité et l’importance.

Rien ni personne n’a depuis fondamentalement remis en question le système des zones, qui s’est précisé avec la zone dite aujourd’hui 3B de dévelopement, située dans la couronne urbaine de la Ville de Genève. De plan directeur en plan directeur, les urbanistes ont ressassé, aux cités-satellites près, les contours fixés au début des Trente Glorieuses sans intégrer à sa juste mesure -ce qui est une criante évidence aujourd’hui-, la dimension patrimoniale qui se cristallise véritablement à la fin des années 1960′. Jusqu’à la rupture d’anévrisme du Plan Directeur cantonal 2030, à propos duquel la population n’a jamais été amenée à se prononcer, et qui marque non pas le début d' »une mue » (euphémisme politicien), mais celui d’un attentat contre Genève, comme une attaque à l’acide sur un beau visage.

Lorsqu’on prend le temps de parcourir l’excellent recueil du CRR (Centre de recherche sur la rénovation urbaine de l’Institut d’architecture de l’Université de Genève, intitulé 1896-2001 Projets d’urbanisme pour Genève, dirigé par Alain Léveillé et publié avec la collaboration du DAEL (Département de l’Aménagement, de l’Equipement et du Logement) en 2003, on appréhende avec plus de savoir l’histoire des va-et-vient du développement territorial genevois au cours du XXe siècle. On découvre que, très vite s’est posé le dilemme de l’extension de la Ville et du petit Canton, pris en tenaille entre avidité spéculative et régulation des appétits, protection des espaces verts et acharnement densificatoire, facilitation de l’automobile et efficience des transports en commun, pour ne citer que quelques questions qui demeurent d’une criante actualité.Résultat de recherche d'images pour "1896-2001 projets d'urbanisme"

On ne se lasse pas de relire la préface du Président du Conseil d’état d’alors, Laurent Moutinot, dont voici, extraits, quelques sages propos:  » Le défi majeur pour les prochaines décennies est celui de la régionalisation de l’aménagement. Le territoire est trop exigu pour que tout y soit possible; il faudra dès lors partager avec la France voisine et le canton de Vaud […], véritablement concevoir l’aménagement de la région comme un tout. La protection du Salève en compensation d’une zone industrielle transfrontalière? La défense de la viticulture genevoise et le développement de l’agglomération d’Annemasse? Des logements dans le pays de Gex moyennant un réseau de trams vers Saint-Genis et jusqu’à Gex? Il nous faudra trier dans les projets les plus fous, les plus ambitieux et cent fois remettre l’ouvrage sur le métier jusqu’à trouver une idée qui recueille l’adhésion. En encore recommencer, car l’aménagement du territoire étant un art d’équilibre, il n’est jamais fini, toujours instable, et doit en permanence être repris, corrigé, amélioré. Les axes d’équilibre sont cependant connus: ce sont ceux du développement durable, une économie forte pour une politique sociale forte dans le respect de l’environnement. »

Aux antipodes de ces paroles avisées, le Plan Directeur cantonal 2030, à propos duquel la population n’a jamais été amenée à se prononcer, marque l’apogée de la financiarisation de l’urbanisme et de l’architecture. Une hallucination reposant sur le postulat d’une croissance qu’il est impératif de rediscuter, une croissance dont nos autorités seront comptables et que, de par le monde, beaucoup qualifient déjà de criminelle. En février 2017, Contre l’enlaidissement de Genève demandait un moratoire d’une année pour se donner le temps de questionner la pertinence des directives de ce plan 2030. Vox clamans in deserto! Pas question de « remettre l’ouvrage sur le métier », ni de « reprendre, de corriger et d’améliorer »! Comme dans Le Loup et l’agneau, la raison du plus fort est toujours la meilleure! La marche forcée s’est accélérée, « les projets les plus fous, les plus ambitieux » ont violenté « le territoire trop exigu », qui souffre et se déforme sous nos yeux. La colère et la tristesse s’enflent devant la catastrophe territoriale qui se déroule en temps réel. Ceux qui ont les moyens quittent ce canton dévasté.

C’est en particulier dans la zone 3B de développement que se trament, au nom du logement, les pires exactions. Comme lors des plus sanglants épisodes iconoclastes, les joyaux de notre République sont, en 2018, promis à la démolition: d’épatantes résidences centenaires en parfait état, leurs maçonneries élégantes, leurs porches à colonnes, leurs vérandas intactes, leurs boiseries à panneaux, leurs parquets en losange, leurs dallages et terrazzos, leurs menuiseries de chêne et de noyer, leurs chambranles de cheminées en marbre … Mais aussi, et tout aussi grave à l’heure climatique cruciale que nous traversons, leurs jardins, leurs arbres séculaires, leurs parterres, leurs allées ombragées … tout est convoité comme terrain à bâtir. Et parce que l’administration est entravée, les justes mesures de protection pour tout cet inestimable patrimoine ne se prennent pas, ou, pire, ne sont pas menées à leur terme. C’est l’avenir des Feuillantines, à la place des Nations, celui de la propriété Merkt au 11, Chevillarde, de l’Hôtel du Noble Exercice de l’Arc et des maisons voisines à la route de Chêne, de la maison Pictet de Rochemont à Bellevue, etc., etc., etc., et pour ne citer que quelques cas particulièrement significatifs, qui se joue en ce moment.

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Maison Merkt, 11 Chevillarde (photo Miguel Bueno)

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Maison Merkt, 11 Chevillarde (photo Miguel Bueno)

 

Il importe de dézoner pour conserver la qualité de vie et la nature en ville et Genève mérite bien mieux qu’un urbanisme de zone, de tronçonneuse et de boule de démolition. Les sacrifices patrimoniaux et environnementaux sont un non-sens aujourd’hui, alors qu’augmentent les surfaces de bureaux et d’appartements vides. Il est encore temps, avec tous les partenaires impliqués et un magistrat vert, de prendre ce virage à 180 degrés que beaucoup d’entre nous appellent de leurs voeux.

4 réflexions sur « Plaidoyer pour un dézonage »

  1. Bonjour,
    Comme toujours on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs
    Est il plus important de loger la population dans des cadres agréables à des loyers ou a un prix permettant à la classe moyenne d’enfin accéder à la propriété ou alors conserver des vestiges
    Je suis contre l’hyper développement et pense qu’il faut qu’on arrête à Genève de se prendre pour la grenouille voulant être aussi grosse qu’un boeuf
    Arrivé enfant à Genève j’ai été contraint d’exiler ma famille durant 15 ans outre frontière n’arrivant pas à me loger à un prix abordable dans le canton propre citoyen Suisse chassé de son pays par les blocages de tous bords de la construction de logement!!
    Oui je suis un des bénéficiaires de la zone de développement 3B et vais enfin pouvoir acquérir mon logement à un prix correct car contrôlé par l’état , j’ai du attendre de nombreuses années afin de pouvoir de nouveau habiter à proximité de mes intérêts travail relations etc…
    Alors oui mêne s’il est dommage de détruire certains patrimoines bien souvent en mauvais état
    Je pense qu’il faut en premier lieu loger les familles genevoise

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  2. Oui, il est vrai que nous avons besoin de logements.
    La question est de savoir si les chiffres que nous avons des habitations vacantes correspondent à la réalité. Pour cela nous devons nous poser la question suivante: qui les donne?
    C’est le secteur de l’immobilier. Il y a donc un conflit d’intérêts évident, car il plaide pour sa cause en montrant une offre très réduite. Il défend ainsi ses revenus, en continuant à construire dans un territoire limité et en augmentant les loyers, alors que les salaires des classes moyennes et inférieures baissent (sauf si on a la chance d’avoir un prix contrôlé par l’État).
    Pour preuve: nous savons qu’il y a des bureaux vides à foison et on continue à en construire.
    S’attaquer au patrimoine architectural, qu’on laisse volontairement se détériorer, et végétal qu’on considère comme une ressource à exploiter, est leur solution toute faite.
    Il fait pourtant l’identité de notre ville et notre qualité de vie.
    Quand on aura érigé des barres d’immeubles jusqu’au dernier m2, nous n’aurons plus d’espaces verts et nous serons tous logés dans des cages triste et monotones, sans ‘art de la construction’ (signification du mot ‘architecture’).
    Sachons voir un peu plus loin que nos propres intérêts et essayons de comprendre comment fonctionne le secteur économique de l’immobilier.

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  3. « Comme toujours on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs … Alors oui mêne s’il est dommage de détruire certains patrimoines bien souvent en mauvais état. Je pense qu’il faut en premier lieu loger les familles genevoise »
    Ridicule! la croissance infinie est un leurre et ce n’est pas une excuse pour détruire le patrimoine. A ce rythme-là un jour viendra où l’on nous dira qu’il faut sacrifier les grands parcs de Genève pour y construire des immeubles. A l’avenir il faut bien voter et surtout pas pour ces pseudo-écologistes qui prétendent défendre l’environnement, mais ne rêvent que de faire venir plus de monde dans cette pauvre ville dont les capacités sont déjà dépassées.

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