Underground Salon Suisse

L’architecte suisse Peter Vetsch a présenté vendredi soir au Salon Suisse de la Biennale d’architecture 2016 Wake up! A path towards better architecture! ses maisons-sculptures semi-souterraines construites dès les années 1960′ à Dietikon. Mahnaz Ashraf, architecte iranienne, a le lendemain fait la lumière sur les sites troglodytes iraniens et en particulier celui de Maymand, classé depuis 2015 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le père Maximous El-Antouny a enchaîné le lendemain sur le sujet des églises coptes creusées dans le rocher de la montagne du Mukkattam au Sud du Caire. 

Le mode de construire troglodyte est-il un degré zéro de l’architecture ou peut-on parler d’architecture troglodyte au plein sens du terme? Dans le contexte d’une Biennale intitulée Reporting from the Front, où Alejandro Aravena nous enjoint à libérer notre parole et à participer, il est temps de se réapproprier l’architecture confisquée par l’intelligentsia des architectes seulement. Qu’est-ce qu’un architecte éclos en plein mouvement hippie a à nous dire? Qu’est-ce qu’un habitat troglodyte millénaire peut nous apprendre? Quelle est la leçon d’une montagne creusée par des centaines de fidèles coptes depuis les années 1970′? Provenant d’horizons culturels complètement différents, les intervenants et le public présent au Salon se sont apprivoisés dans un respect mutuel. Dans le meilleur sens du terme c’est peut-être là que réside ce qu’on galvaude sous le nom de « globalisation ».

Fasciné précocement par l’idée d’enterrer partiellement ses maisons, Peter Vetsch, formé à la Kunstakademie de Düsseldorf sous la houlette de Hans Hollein et Joseph Beuys, nous a présenté ses réalisations. Avec persévérance il a construit d’abord une maison-pilote, la sienne, puis d’autres maisons semi-enterrée sur le même modèle. Des sortes de « maison du fada » comme on aurait dit alors s’agissant de l’Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier. Les maisons sont semi-enterrées pour être mieux intégrées dans la nature et pour être mieux isolées thermiquement sous leur couche végétale, récupérée de la fouille des fondations. Nous étions après la première crise du pétrole, précise Peter Vetsch. Ces maisons, construites presque intuitivement, avec l’aide de manoeuvres embauchés à la gare de Zurich faute de moyens, ont fini par convaincre une clientèle fortunée, ne reculant devant aucune dépense. Mais. construites à l’aide du ciment projeté (dont nous avait déjà fait l’éloge Daniel Grataloup dans le Salon de septembre) elles sont faites pour être construites à bon marché par des propriétaires astucieux et capables de mettre la main à la pâte.  

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Architecte impliquée dans l’organisation iranienne du patrimoine culturel, Mahnaz Ashrafi nous a le lendemain présenté le site troglodyte de Maymand, classé au Patrimoine mondial récemment, avec tous les problèmes que cela implique: avidité des spéculateurs, afflux touristique majeur, perte d’authenticité, etc. Ce site de grande ancienneté (millénaire?) a abrité une population semi-nomade de bergers, qui au fil des saisons se déplaçaient des régions de jardins aux régions de pâturages puis se réfugiaient à l’approche de l’hiver dans leurs maisons creusées dans la montagne de Maymand. Clairement ces populations vivaient en accord avec la nature et le climat environnant. Le site troglodyte n’existait que pour abriter la pause hivernale de la vie des bergers et comprenait une chambre (otak) précédée d’une loggia (eyvan) dans lesquelles se déroulaient les activités d’artisanat et de vie quotidienne. Plusieurs maisons (kiches) ont été récemment transformée en une « guest house » troglodyte. Le confort moderne (eau courant et électricité) a été amené dans le village.

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Le dernier soir, c’est le père Maximous El-Antouny, du monastère de Saint-Antoine l’hermite en Egypte, qui nous a présenté les églises coptes de la montagne du Mukkattam. La foi déplace des montagnes, c’est bien connu et c’est justement l’histoire des fondements de l’église copte en Egypte que d’avoir réussi à déplacer la montagne du Mukkattam. La communauté copte du Caire, connue sous le nom de Zabballin (chiffonniers du Caire), vit au pied de cette montagne depuis longtemps. Ce serait dès le milieu des années 1970′ qu’elle aurait décidé de creuser la montagne pour y installer des lieux de culte et de réunion. Sans ingénieurs civils, sans architectes, grâce au seul savoir des géologues et des habitués de la montagne qui savent l’observer et la comprendre et grâce à l’aide de Dieu.

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Quelles conclusions tirer de cette rencontre? L’architecture souterraine existe bel et bien depuis l’origine du monde entre mythe et réalité. On y a recouru pour des raisons de sécurité ou de confort pour y installer des logements, des villes, des lieux de culte. Réinterpréter les modèles ancestraux peut faire sens aujourd’hui encore pour résoudre les problèmes énergétiques, comme nous l’a expliqué Peter Vetsch. Concernant la symbiose entre construction et paysage, Frank Llyod Wright disait déjà: « No house should ever be on a hill or on anything. It should be of the hill. Belonging to it. Hill and house should live together each the happier for the other.”

Un demi-siècle après l’exposition du MoMA intitulée Architecture without architects (1964) dont le commissaire Bernard Rudovsky nous dissait qu’elle devait « to break our narrow conception of the art to build by exploring the domain of the not codified architecture”, Aravena nous parle aussi à l’occasion d’un de ses derniers projets de “primitivness” (terme intraductible en français …), une certaine manière d’être « timeless » (hors du temps) et indémodable. Pourquoi s’interdire d’imaginer un habitat en fusion avec la nature, auto-construit, bon marché, bien isolé, bien intégré, dans des paysages qu’on cesserait de miter de mille et unes constructions intempestives? La grotte ou l’habitat troglodyte contemporains pourraient bien être quelque chose de la sorte.

 

 

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