Pour la première fois l’Unesco vient d’admettre être pris au piège du patrimoine mondial. Un nombre important de sites repérés au titre de patrimoine mondial et pris d’assaut par les touristes sont en train de souffrir de leur succès touristique. Les îles des Galapagos et leurs tortues géantes ou le Thaïlande et ses bancs de coraux voient leur éco-systèmes déstabilisés. Plus près de nous, c’est Venise qui ploie sous le poids des grands navires qui continuent de traverser le canal de la Giudecca. Dans un rapport publié à l’occasion de la dernière assemblée internationale qui s’est tenue à Istanbul, on admet officiellement que le tourisme de masse va à l’encontre de la préservation du patrimoine mondial.
Image de l’absurdité du monde
Venise est un joyau de l’humanité. Née d’une agglomération d’ilots qui se sont progressivement additionnés les uns aux autres, cette ville maritime de pêcheurs et de commerçants a rayonné dans le monde entier. La cité des Doges a toujours vécu en symbiose avec l’élément marin qui lui a donné le jour. Les tableaux allégoriques de Tintoret et de Véronèse témoignent des épousailles de Venise avec la mer. Les fêtes représentées dans les vedute de Canaletto et de Guardi illustrent les joutes nautiques et les processions maritimes du Bucentaure. Dans leur apparat et leur luxe ces fêtes traditionnelles demeuraient à la mesure de la ville, les embarcations nombreuses mais actionnées manuellement par des rameurs ou des voiles. La Festa della Censa célèbre encore aujourd’hui le mariage de la ville et de la mer. Sauf qu’aujourd’hui la mer amène d’énormes ennemis: « I grandi navi ».
Graffiti de la Giudecca qui se gentrifie
Soutenue comme par miracle par des milliers de pilots de bois qui constituent les fondations des constructions traditionnelles, Venise est depuis longtemps attaquée de toutes parts. Le trafic motorisé dans la lagune est sans conteste l’une des plus dangereuses nuisances qui la menace d’engloutissement. Tandis que la police effectue de dérisoires contrôles de vitesse sur les taxis et embarcations qui circulent sur le Grand Canal, le touriste se frotte les yeux en voyant passer dans le canal de la Giudecca des monstres plus hauts que des immeubles. Comme dans un film d’horreur les fleurons de la compagnie Costa et quelques autres défilent encadrés de leurs remorqueurs. La disproportion entre ces géants de métal et les fragiles constructions vénitiennes produit un sentiment d’effroi. Sublime des temps modernes ou apocalyptiques?
Venise aux Vénitiens
Il faut soutenir les Vénitiens qui se sont organisés dans la lutte contre les grands navires https://www.facebook.com/comitatonograndinavi/, mais aussi pour une Venise aux Vénitiens. En espérant qu’il soit encore temps et que la sournoise aqua alta n’ait pas déjà gagné la partie.
Acqua alta du mois de juin 2016. Rive de la Giudecca inondée.