Post Tenebras Lux ? Non au « projet Nouvel » !

Dix-huit années de tâtonnements dans les ténèbres de l’iconoclasme et l’opacité de procédures pas claires du tout prendront-elles fin lors de l’annonce de l’obtention du nombre de signatures requises pour faire aboutir le référendum municipal contre le budget de quelques 140 M° voté par le Conseil municipal en vue des travaux de restauration et d’agrandissement du Musée d’Art et d’Histoire de Genève, soit contre le « projet Jean Nouvel » ? Quoi qu’il en soit, n’en déplaise à certaines fortunes et à une « élite » cosmopolite d’expression anglaise, qui s’estiment plénipotentiaires, la première étape d’un des processus de la très enviée sacro-sainte démocratie semi-directe helvétique aura pris place. L’étape suivante sera celle de la votation populaire à mettre sur pied comme le réclame la procédure référendaire. Il reviendra alors à la vox populi votant en Ville de Genève de s’exprimer. Mais comment, au sortir du tortueux chemin ténébreux, retrouver la lumière, les lumières de la raison ? Car, comme Francisco Goya l’avait si bien illustré, le sommeil de la raison engendre des monstres …

Par leur diversité, les personnalités, associations, groupements, partis du comité référendaire ont représenté le large front des opposants à un projet imposé d’en haut, critiquable d’un point de artistique, architectural, muséographique, financier, moral et éthique. Rarement projet culturel à Genève n’a suscité autant de dissensions. Tout déplaît dans le fond comme dans la manière : du projet qui fait fi du beau parti architectural de Camoletti, du côté daté de ce projet – pire, démodé -, à la désinvolture face à un des plus beaux monuments du patrimoine genevois ; de la superbe de MAH+, à la morgue de l’archistar en passant par l’arrogance du principal bailleur de fonds. Pour bien moins que ça des votations populaires issues de processus référendaires ont été gagnées à Genève ! Les citoyens ont ainsi sauvé la transformation lourde du Musée Ariana menacé par un projet de salle polyvalente, refusé la démolition pure et simple de l’Hôtel de la Métropole, empêché la disparition des Bains des Pâquis, rejeté un projet de Musée d’ethnographie à la place Sturm …

Lux fiat ! Que la lumière soit d’abord faite sur l’édifice qu’on annonce déjà moribond ! Repoussée depuis trop longtemps aux calendes grecques et subordonnée au projet d’agrandissement, la restauration de l’édifice s’impose maintenant comme une priorité absolue. Restaurer signifie ici retrouver la qualité et la cohérence dont l’édifice a été privé au fil des ans et des outrages. Dans un premier temps c’est un restaurateur qu’il faut au chevet de l’édifice et non un architecte soucieux d’imprimer sa marque, un restaurateur au sens où l’entend si bien déjà le théoricien florentin de la Renaissance, Léon Battista Alberti, dans son Livre X du De Architectura qui, comme un médecin, s’enquiert de l’état de santé de l’édifice, répare ce qui est dégradé, améliore ce qui est défaillant, tout en respectant les caractéristiques et  fonctionnement de l’organisme architectural d’origine. Comme le prescrivent les chartes nationales et internationales, en particulier la Charte de Venise (1964), incontournable guideline en matière de conservation architecturale, l’auscultation fine et le diagnostic des pathologies précéderont toute décision d’intervention.

Documenter le Musée d’Art et d’Histoire, faire la lumière sur son histoire précise, ne seront pas chose difficile, l’extraordinaire photothèque du musée comprenant une fabuleuse collection photographique permettant même de retrouver l’état des épatants aménagements d’origine, jusqu’aux magnifiques vitrines polygonales aux châssis de bois durs dont aucune (dans la trop opulente et trop négligente Genève) n’a survécu à ce jour ! La photothèque illustre par le menu l’état des transformations/modernisations successives, par salle ou par département, au gré de la volonté des directeurs et conservateurs successifs. L’étude exhaustive de cette documentation, qui permettrait de connaître l’évolution quasi-quotidienne du bâtiment et de ses aménagements n’a jamais été faite. Aucun directeur n’en a jamais éprouvé le besoin ni l’envie. Une telle étude pourrait pourtant donner lieu à une extraordinaire exposition monographique sur l’histoire du Musée d’Art et d’Histoire, à l’heure où l’on n’aura bientôt d’autre scénario que de fermer l’institution pour plusieurs années. De même, et afin de sensibiliser les publics à la grandeur de la tradition architecturale genevoise, ce sont plusieurs autres importantes expositions qui pourraient rapidement prendre place au Musée d’Art et d’Histoire de Genève : des trésors documentaires dorment encore dans les archives d’Etat ou aux archives de la Bibliothèque ou de l’Université de Genève, et seuls quelques chercheurs privilégiés en connaissent les richesses. Le fonds Edmond Fatio et ses splendides aquarelles, remplirait à lui seul plusieurs galeries du MAH …

L’extension et/ou l’agrandissement du MAH doivent peut-être faire l’objet d’un vrai concours architectural, quand bien même, dans un esprit prévoyant, nos autorités avaient dans les années 1930’ montré la voie d’un scénario lumineux – perdu dans l’amnésie administrative-, celui de la restitution du bâtiment des Casemates, occupé aujourd’hui par la HEAD, par l’Etat à la Ville en cas de nécessité. Comme calculé par Patrimoine Suisse, les surfaces ainsi récupérées offriraient un important gain en m2. Si toutefois c’est un type d’extension (partiellement) visible que l’on devait préférer (on se demande d’ailleurs pourquoi au juste), l’élaboration des termes du concours dans ce périmètre sensible et historique entre Vieille Ville et Plateau des Tranchées se fera de manière concertée en profitant de l’expérience des historiens de l’architecture et du développement urbain de Genève et dans le respect du génie du lieu. On veillera donc à ce que le lobby des architectes ne fasse main basse sur le jury (règle devenue trop implicite pour être contestée !), de sorte que le MAH ne redevienne pas l’otage de partisans uniformément prosélytes de l’architecture moderne et industrialisée.

Mr Chaplin, mais où sont donc les Lumières de la Ville aujourd’hui ? Plus guère dans la foi réformée, ni dans l’Esprit de Genève, pas plus que dans la Banque protestante … Ville internationale, plateforme bancaire et de matières premières, Genève s’est un peu perdue entre global et local et n’a plus foi dans tout ce qui constitue pourtant son identité hors pair. Or aujourd’hui, la « population genevoise » se réveille et dit : Non au « projet Nouvel » ! Il est permis d’espérer.

3 réflexions sur « Post Tenebras Lux ? Non au « projet Nouvel » ! »

  1. « Que la lumière soit d’abord faite sur l’édifice qu’on annonce déjà moribond! »
    Edifice fermé pour cause de canicule, dont les frises menacent les passants, et dont les façades, bouffées par la pollution, font la fierté de Genève, ville internationale de culture.
    Sans même parler des collections, qui n’ont pas changé depuis mon enfance qui date du siècle dernier.
    Décidément, les « lumières », chez vous, doivent être éteintes.

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  2. 1000 fois exact
    et surprenant: où sont les réactions? on s’attendait à en lire
    en faible écho d’1 archi sous mon toit écoeuré de telles largesses du clientélisme renouvelé aux POTESaNOUVELauCEVA y los BTP françès en romandie

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  3. cette situation a déjà poussé de bons archis suisses à démissionner pour foutre le camp de cette corruption
    ce qu’a vu mon étudiant archi de fils qui fini d’écrire ses travaux de diplôme dans le dégoût avant de s’en aller professionner autrement

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