Une visite effectuée en 2006 par les étudiant-e-s en Patrimoine et Tourisme à l’intention des nouveaux/elles collaborateurs/trices de l’Université de Genève, intitulée Dérive urbaine, est à l’origine de cette réflexion à propos des bâtiments universitaires, souvent méconnus du grand public. La visite en question, effectuée à pied, débutait dans la rue couverte d’UniMail pour se terminer à l’aula du Bâtiment des Philosophes (ancienne Ecole de Chimie), en passant par UniPignon, l’ancienne Ecole de Médecine, UniDufour, UniBastions. L’histoire et l’état contrasté de ces six bâtiments, des quelques vingt-sept sites occupés à ce moment par l’Université sur le canton de Genève, révélèrent au grand jour une imago mundi d’un monde à plusieurs vitesses.
Même si de nombreux bâtiments sont venus grossir depuis les années 1960’ le parc immobilier universitaire, et l’on peut ajouter à l’heure actuelle les pétales de l’IHEID et le flamboyant bâtiment Merck-Serono dessiné par Helmut Jahn, partiellement réaffecté au Human Brain project, nul doute qu’UniBastions demeure dans l’esprit de bien des Genevois le bâtiment qui incarne l’Université de Genève, pour en avoir abrité seul pendant près d’un siècle la plupart des activités avant la prolifération corollaire au développement de l’institution. A cette Alma Mater vinrent rapidement s’ajouter une Ecole de Médecine (1875-1876), construite sur les plans d’Adolphe Reverdin, Antoine Goüy et Charles Gampert, bâtiment classé de belle allure néo-classique, toujours en attente d’une restauration; puis une Ecole de Chimie, imaginée par Henri Bourrit et Jacques Simmler (1879) qui, après des années de déficit d’entretien, est en train, au sens propre, de renaître de ces cendres à coup de millions.
Au XXe siècle le parc universitaire devait s’accroître encore de plusieurs bâtiments significatifs, dont ceux d’UniDufour et d’UniMail. On se rappelle la difficulté avec laquelle UniDufour vint prendre place dans la ceinture fazyste au début des années 1970′. Sa survenue dans le paysage architectural genevois allait choquer le public peu habitué à l’architecture moderne en ville et hostile à l’expression architecturale du béton brut de décoffrage. Remarquable bâtiment dessiné par Francesco, Pau & Vicari, ce fleuron architectural abrite essentiellement le rectorat et l’administration de l’Université et deux magnifiques auditoires, dans lesquelles se tiennent les Grande Conférences de l’Université.
Le plus grand bâtiment universitaire de Suisse est UniMail, conçu à l’emplacement de l’ancien Palais des expositions et sa halle Maillart. Candidat malheureux au projet d’UniDufour, le bureau ACAU remporta ce concours avec projet éminemment urbain, traité un peu comme un quartier, en trois étapes successives. Le parti de la rue intérieure, une véritable artère coupant en deux l’ilôt, prend sa mesure sur le tissu urbain environnant donne son échelle au bâtiment. Le bâtiment abrite les Facultés de Droit, de Psychologie et des Sciences de l’éducation, l’ancienne Faculté des Sciences économiques et sociales. Nous ne présenterons pas en détail ici Sciences II et le CMU, qui sont respectivement les fiefs des sciences dures et de la médecine.
UniBastions, patrimoine en péril pour la Faculté des Lettres
Premier jalon entrepris en 1865-1866 sous l’impulsion du remuant professeur et politicien Carl Vogt (1817-1875), le bâtiment des Bastions fut décidé pour reloger l’ancienne académie installée jusque-là entre l’Auditoire de Calvin et le Collège Calvin. Le « Ring » genevois se dotait d’équipements scolaires (des « palais de l’enseignement), de salles de spectacle, de nouveaux lieux de culte. Un concours international fut lancé en 1868 pour la construction de ce que l’on appelait alors les Bâtiments académiques. Ce concours fut remporté par un trio d’architectes établis : Joseph Collart, Jean Franel et Francis Gindroz. Le plan en fer à cheval du bâtiment permettait une tripartition du programme avec l’Université au centre, la Bibliothèque publique et universitaire (actuelle BGE) dans l’aile Salève et le Musée d’histoire naturelle dans l’aile Jura.
Joseph Collart (1810-1894) élève de l’atelier de Jean-Nicolas Huyot à Paris, avait déjà réalisé l’Hôtel de la Métropole à Genève, était alors Conseiller d’état aux Travaux publics (1867-1870) et s’illustrerait bientôt par la construction de l’Hôtel des Bains d’Evian-les-Bains. Ses deux collègues étaient vaudois. Jean Franel (1824-1885), élève d’Hector Lefuel à Paris, s’était fait remarquer sur le chantier du Conservatoire de Musique, dessiné par Jean-Baptiste-Cicéron Lesueur, et allait endosser le délicat chantier du Monument Brunswick. Francis Gindroz (1822 – 1878) élève chez le même Lefuel, avait gagné le 1er prix des concours de l’hôtel Beau-Rivage à Ouchy (Lausanne, 1857) et de la salle de la Réformation (Genève, 1862) et dirigé les travaux de la gare Cornavin (1857-1858).
Le bâtiment prenait place entre le parc des Bastions et la rue de Candolle nouvellement tracée. Il faisait face au Jardin botanique, réalisé pour satisfaire les attentes d’Augustin-Pyrame de Candolle, nouveau professeur de botanique revenu de Montpellier dans sa ville natale. Guillaume-Henri Dufour avait déployé des trésors d’ingéniosité dans la construction de l’orangerie et des serres chaudes et tempérées à châssis de bois inclinés pour satisfaire les désirs du nouveau professeur. Un beau jardin d’agrément et de nécessité avait été aménagé alentours jusqu’aux pieds du Palais Eynard dont il servait de dégagement.
Conçu comme un palais classique, doté d’un avant-corps central de molasse verte du côté du parc, posé sur un étage de soubassement à refends, il s’inspirait de la tradition du bâtiment princeps de l’Ecole Polytechnique fédérale, construit par Gottfried Semper peu de temps auparavant. Impressionnants vestibules munis de colonnes, escaliers d’apparat symétriques à l’arrière de la façade donnant sur la rue, un bel aula à colonnes à l’étage de l’avant-corps central, remplacée depuis pour faire place à la salle moderne conçue par Jean Hellenberger en 1945.
Malheureusement les décennies ont progressivement porté atteinte au lustre des Bastions. Des cloisonnements et des circulations intempestives, dans l’espoir vain de multiplier les espaces de travail, de l’usure que l’on ne peut pas qualifier de patine, des rafistolages intempestifs: une remise à zéro s’imposait et jusqu’à récemment était au programme. Mais tout vient d’être stoppé. http://www.letemps.ch/Page/Uuid/0858c606-2eb5-11e3-9ac4-972f78159a57#.Un_Hf-I7qZQ
Les usagers de ces bâtiments rongent leur frein. Les étudiants étrangers qu’Erasmus (mundus) amène à Genève s’étonnent. Genève est pourtant riche … Actuellement on projette d’enterrer une grande partie des bibliothèques au sous-sol. On va retailler les espaces de l’aile Jura pour tenter d’y installer des bureaux. C’est tenir en bien peu d’estime et le patrimoine, et les Humanités. Ceci tandis que dans la plupart des villes du monde les anciens bâtiments universitaires sont bichonnés. Nos édiles feraient bien de visiter la Sorbonne.
http://lelwakil.blog.tdg.ch/archive/2008/12/17/le-quart-monde-de-l-universite-de-geneve.html