Symptôme d’un monde occidental en profonde mutation, la production des architectes du Mouvement moderne, en promouvant de façon musclée les nouvelles technologies, se coupe, dès les années 1930, d’une forme de tradition architecturale et de ses savoir-faire. L’épisode post-moderne, provoqué par les secousses liées au premier choc pétrolier, ne parvient pas à freiner durablement le flot des prouesses technologiques. La surenchère est plus que jamais d’actualité dans un star system architectural, où le geste monumental, l’exploit sensationnel, l’invention de nouvelles tours de Babel semblent encore l’emporter sur les réflexions fondamentales relatives au cadre de vie. L’attention aux divers patrimoines ethniques, le souci de l’ancrage socio-territorial du bâti, la production d’une architecture située, qui étaient le propre des préoccupations de l’architecte dans les années 1970, font profil bas face à la fascination quasi-généralisée pour un formalisme global et totalitaire, servi par le DAO et une technologie industrialisée de grande sophistication.
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La suprématie du modèle occidental et industrialisé continue de dicter au monde son évolution. Le progrès et la modernité passent trop souvent encore par l’idée de technologies lourdes et coûteuses. Les savoir-faire traditionnels, les connaissances ancestrales, la sagesse des pratiques constructives éprouvées par le temps et l’usage peinent à se faire reconnaître face aux innovations matérielles et techniques.
Un architecte égyptien, Hassan Fathy, a laissé dans la seconde moitié du XXe siècle une réflexion sur la difficile et paradoxale relation entre héritage et modernité dans son pays, leçon dont le monde arabe devrait encore tirer tous les subtils enseignements. Récompensé par le Grand Prix de la Fondation Aga Khan en 1980, il a devancé les pionniers de la pensée du développement durable et des préoccupations liées à l’environnement. Sensible à la cause des classes défavorisées de son pays, il a cherché dès les années quarante à contrer l’industrialisation du bâtiment naissante dans son pays et à proposer pour les paysans nubiens défavorisés des solutions inspirées du patrimoine traditionnel de terre crue. La sensationnelle expérience de Gourna, la construction d’un village-modèle paysan en face de Louxor dès 1946, s’est pourtant soldée par ce qu’on peut finalement qualifier d’échec. Les raisons de cette réception difficile sont nombreuses : réticences des Gournis à quitter leur précédente maison établie sur les tombes pharaoniques (sources de revenus complémentaires), première expérience de logement vernaculaire pas totalement adéquate au milieu auquel elle était destinée, concurrence avec les modèles de modernité imposés par l’Occident et l’industrie du béton armé …
Le séjour de Hassan Fathy dans l’agence de Doxiadis à Athènes de 1957 à 1962 lui permet de se confronter à la reconstruction et au développement de l’Irak et du Pakistan. Penseur arabe au sein d’une équipe internationale, il développe une théorie de la ville du futur qui s’appuie largement sur la prise en compte de l’héritage culturel. Ses propositions d’habitat pour Korangi, dans la banlieue de Karachi, ou pour les villages du Grand Mussayeb en Irak résultent d’une habile fusion entre des formes de modernité et une réinterprétation de solutions traditionnelles locales.
Dès les années 60’ Hassan Fathy est approché par ceux qui comptent dans le monde de la restauration monumentale occidentale, les architectes du Restauro de Rome, Paul Philippot et Piero Sanpaolesi, ainsi que Pierre Gazzola, président de l’ICOMOS au moment de la Charte de Venise, le Polonais Waclaw Ostrowski, l’Italien G. de Angelis d’Ossat, l’Autrichien Otto Demus. On l’invite dans différents colloques internationaux. Il fait parallèlement partie de différents comités de protection du patrimoine égyptien, au sein desquels il tente de sensibiliser les autorités cairotes à la reconnaissance du Caire fatimide mineur, à l’intégration harmonieuse du neuf dans l’ancien, au respect des valeurs artisanales, artistiques et culturelles autochtones.
Riche de l’altérité que constitue son identité arabe, il s’emploie à étudier finement les caractéristiques architecturales propres au monde arabo-musulman afin de relever leur pertinence face à l’acculturation induite par l’importation des modèles étrangers. Pétri d’un profond nationalisme dans un pays libéré de fraîche date de différentes tutelles (dont la dernière en date des Anglais) Fathy revendique pour la tradition architecturale égyptienne une place autre que celle d’architecture exotique, que lui décerne Banister Fletcher dans A history of architecture. Son travail d’architecte, imprégné de culture nationale, débouche sur des réalisations originales et affranchies des modèles occidentaux; sa théorie, quant à elle, reflète un engagement teinté de prosélytisme et enraciné dans le terroir national.
Faire comprendre au monde l’égalité des cultures et des civilisations, apprécier les qualités intrinsèques du patrimoine local, renouer avec la sagesse des savoir-faire à travers la théorie de la technologie appropriée, tels furent les objectifs de Hassan Fathy tout au long de sa longue vie. Son enseignement a aujourd’hui, alors que nous sommes rattrapés par des préoccupations liées au développement durable et à l’environnement, plus de portée que jamais. Savoir abdiquer notre toute-puissance d’homme moderne et puiser dans les traditions une leçon pour le présent est sans doute la garantie d’un avenir.