Une de mes chères amies, adepte assidue de la salle de lecture de la Bibliothèque d’Art et d’Archéologie de Genève, me téléphone il y a quelques jours, et dans son français qui roucoule, mâtiné d’accent slave: « C’est à pleurer, dit-elle, la salle de lecture de la BAA a été transformée de fond en comble! Où sont nos belles tables d’antan en bois dur, où sont nos chaises accueillantes? On s’asseoit sur des chaises design qui nous renvoient en arrière, loin de nos livres! Comment se fait-il que les usagers n’aient pas été consultés?
La salle de lecture de la BAA était, dans l’intrépide et mobile République de Genève, le repère de quelques intellectuels hors norme, qui, jour après jour, revenaient dans ce havre d’une amène neutralité, méditer et réfléchir au temps long de l’écriture et aux ouvrages à écrire patiemment. Elle est aussi le lieu où se forment les jeunes historiens de l’art, ceux qui peut-être s’intéresseront un jour à la transmission du patrimoine. Mais l’amène neutralité, le caractère de charmante obsolesecence, qui plaît et convient aux intellectuels (dont chacun sait qu’ils sont hors du temps), ont semblé ne plus avoir lieu d’être!
Pareillement dépendante des soins de la Ville de Genève, les salles anciennes du rez-de-chaussée de la Bibliothèque de Genève (BGE), dont la mémorable salle des manuscrits, dans laquelle tout ce qui compte d’historien-ne-s à Genève a usé ses fonds de culottes, a été, elle aussi, radicalisée et irrémédiablement karcherisée: foin des belles boiseries anciennes, sans doute passées à la benne … Que du neuf et des murs bien blancs, outrageusement blancs, d’une pauvreté déshumanisée, vision idéalisée, mais ô combien inappropriée, d’un technocrate, biberonné à l’esthétique du Bricorama! Un frisson d’effroi saisit le visiteur qui entre dans la belle cage d’escalier classicisante avec ses appareils peints, ses sols de marbres losangés, son garde-corps ferroné: une béance et une lumière à droite, qui n’ont rien à faire là, le saisissent: les nouveaux aménagements, si inappropriés, s’exhibent à tout venant, tuant par là-même la beauté classique du vieil édifice.
D’où viennent ces commandes? Qui les a avalisées? Quelles instances averties, informées? Des commis de bibliothèques décidant pour leurs usagers? Ne surtout pas consulter, aller de l’avant vite et en catimini, dépenser beaucoup d’argent … pour défigurer des patrimoines qui ont leur public et leurs habitués. Se méfier des experts, des architectes payés au pourcentage, toujours et encore.
Qui désormais a encore un droit de regard sur les intérieurs publics de la République? Tandis que les associations de sauvegarde sommeillent à l’évidence, n’y a-t-il plus de pilote dans l’avion du patrimoine? On s’attend même à ce que l’on blanchisse pareillement la Salle du Conseil d’Etat, déclarée récemment anxiogène!
Et oui chère amie, cette histoire résume parfaitement cette république, on a 14 milliards de dettes et on continu à claquer l’argent que l’on a pas, et pour quoi!
Cette magnifique salle de lecture où nous aimions tant nous réfugier, pour lire et feuilleter des revues d’arts et d’architectures!
Enfin ça va être une occasion rêvée pour nos politiciens de faire des discours avec un verre de blanc à la main!
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Cher Dominique, il n’y aura bientôt plus que la Société de Lecture pour se réfugier … Malheureusement pas à la portée de toutes les bourses! Que devenez-vous?
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