Banana Republic, le Shérif et le Promoteur

C’est l’histoire d’une belle maison du XIXe siècle que le Shérif déterminé veut échanger contre un terrain aux mains d’un Promoteur. Le Promoteur toutefois souhaite s’assurer qu’il pourra abattre ladite maison et réaliser une juteuse affaire. Pourtant la CMNS (Commission des Monuments, de la Nature et des Sites) a préavisé défavorablement à la démolition de ladite maison. De surcroît la Conservatrice cantonale en a explicitement demandé le maintien. Le Shérif ne s’embarrasse pas de ces avis autorisés. Pour faire cheminer le dossier, le Promoteur commande une expertise historique qui, bien qu’embarrassée, relève tout l’intérêt du bâtiment. Des riverains s’opposent alors au projet de remplacement de la demeure historique par dix appartements de luxe. Comme le résultat escompté est néanmoins une démolition, les gros bras de Banana Republic entrent en action. La succession d’événements est alors digne du Western spaghetti, dans lequel les anti-héros « misogynes et mal rasés, cyniques et individualistes, sont plus prompts à dégainer pour le bien de leur portefeuille que pour se mettre au service d’une noble cause. » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Western_spaghetti#Caract%C3%A9ristiques)

L’ancienne maison Decroux (1 bis, ch du Vieux Vésenaz), construite vers 1880, illustre le savoir-faire technique et artistique de la villégiature, en usage durant la seconde moitié du XIXe siècle. Des éléments de véranda et balcons s’accrochent à une structure de maçonnerie qu’il est illusoire d’imaginer construire aujourd’hui. Les pierres qui ont servi à cet ouvrage sont des matériaux irremplaçables, qui disparaissent à l’heure actuelle dans l’indifférence quasi-générale. Le soin apporté aux éléments du second oeuvre ainsi qu’au décor témoigne des moyens financiers consentis pour construire dans les règles de l’art et au-delà. Jadis arboré de lilas et agrémenté de pavillons, le jardin s’est vu malmener par son dernier occupant et amputer lors de l’agrandissement de la route de Thonon. Des baraquements de bois ont pris la place des bosquets et des arbustes.

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Un épisode musical important se déroule dans la maison Decroux au début du XXe siècle. Le havre d’exception abrite en effet le séjour d’Alexandre Scriabine qui y compose en 1904-1905 sa dernière symphonie, le « Divin Poème », représentée à Paris aussitôt après. Actionnée par un de ses résidents mélomanes, la commune de Collonge-Bellerive estime utile de célébrer le centenaire de sa mort par une plaque commémorative rappelant le passage de l’illustre compositeur sur son territoire. Bizarrement, la plaque est apposée sur la dépendance de la maison Decroux, où vit aujourd’hui un nonagénaire, et non sur la maison elle-même. Y a-t-il déjà anguille sous roche en 2015? Et les nombreux anti-héros du voisinage ont-ils déjà jeté leur dévolu sur cette proie?

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Pour revenir à l’affaire récente, par quelles manoeuvres et acoquinements le Shérif et le Promoteur réussissent-ils à obvier les « vrais » experts? Un avis est dispensé par l’Architecte cantonal, dont le cahier des charges n’embrasse, aux dernières nouvelles, pas la protection du patrimoine. Il fait la moue et sonne le coup de grâce de la maison Decroux et de tous ses lilas. Un projet de deux immeubles d’appartements de standing se met en place sacrifiant au passage non seulement la demeure, mais trois chênes centenaires.

Les riverains font alors opposition auprès de la Cour de justice contre la démolition de la demeure et contre le nouveau projet de deux immeubles de luxe. Lors d’une audition le représentant de la CMNS, contre toute attente, se liquéfie. Personne dès lors pour défendre les intérêts de la conservation. Les Juges tranchent en défaveur du patrimoine, au motif de l’intérêt supérieur à construire des logements (fussent-ils de luxe!).

Le meilleur reste à venir : à l’Ouest de la Suisse, Banana Republic et ses gros bras! Ecoutez bien la suite de l’histoire … sur fond musical d’Ennio Morricone! https://www.youtube.com/watch?v=9dpNQFpeo6U ! Au lendemain du verdict du 17 avril 2018, alors que les mesures conservatoires devraient s’appliquer à la maison pendant toute la procédure, puisque les voisins déboutés feront recours de cette décision, un exercice de police, soit une opération « commando », est organisé par on ne sait qui. Pour délivrer les otages enfermés à l’intérieur de l’ancienne demeure, des forces spéciales font irruption de la parcelle voisine. Le fracas des portes enfoncées couvre la musique d’Ennio Morricone! On imagine les dégâts. Non contente de cette première estocade, Banana Republic continue ses basses oeuvres. C’est au tour du Service du Feu d’intervenir. Les caves de la demeure sont inondées et le terrain d’exercice abandonné, ouvert à tous vents et jonché de déchets. Plusieurs semaines plus tard, c’est le voisinage, inquiet, qui demandera aux services de la république B. de remettre la maison sous clef. Enfin …, le recours, débouté en avril 2019, sera suivi d’une opération de déminage avec véhicules, gyrophares, sirènes, sans même prévenir le nonagénaire qui habite la dépendance de l’ancienne maison Decroux.

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Telles sont en 2019 les méthodes impunies et les mille et une manières de faire de l’immobilier à Banana Republic, dans le Far Ouest de la Suisse.

 

 

 

 

 

 

 

6 réflexions sur « Banana Republic, le Shérif et le Promoteur »

  1. Merci Madame pour cet article incroyable, littéralement! Genève est-elle donc tombée aussi bas? J’ai honte pour mon canton, pour ma ville, trois fois honte… Peut-on encore les aimer dans ces conditions?
    Cordialement, JLD

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  2. Je pense que l’on dirait plutôt « Banana Republik » en anglais, Banana tenant le rôle d’un adjectif. En français « République bananière », comme vous le savez sûrement.

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  3. Se souvient avec emotion et tristesse du « Petit Vallon » a Malagou
    auquel un promoteur « mafieux » avait mis le feu !
    Rien ne ressemble plus a une République Bananière
    qu’un autre République Bananière !

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  4. Charles Rochat ? LOL!?
    « Rien ne ressemble plus…….. qu’ »un »…. autre République Bananière « 
    Rien ne ressemble plus à un analphabète qu’un autre analphabète ……
    Genève est défiguré ! C’est plus que jamais l’ère du béton! Certains architectes feraient mieux de reprendre leurs cours!

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  5. Très beau le terrazzo, c’est vrai. Le « Salve » qui devait accueillir les visiteurs sonne malheureusement, dans ce contexte, comme un « Morituri te salutant ». Mais quand arrêtera-t-on les méfaits discrets de l’architecte cantonal, qui porte si mal son patronyme ???

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