Genève détruit

Sur la palissade de chantier qui longe le chemin de l’Amandolier, près de l’angle avec la route de Chêne, cette inscription en blanc: GENEVE DETRUIT. Derrière la tôle ondulée un tas de gravats: ce qui était hier encore une remarquable maison de pierre aux toits d’ardoise argentée, une demeure sise dans un domaine arboré en plein centre ville. Un bien inestimable et je ne parle pas que de sa valeur matérielle! Le taggeur de l’Amandolier l’a bien compris: la Ville de Genève qui construit, qui aménage, qui rénove et qui s’en glorifie à coups de slogans populistes, c’est bien la même qui laisse faire, ferme les yeux, abat ses arbres et brade son patrimoine. Le Canton n’est pas en reste par ailleurs.

Quand bien même les choses étaient décidées depuis longtemps, que l’affaire immobilière tardait à se concrétiser, à l’heure où la ville, bouleversée par le chantier du CEVA, égarée dans une politique hasardeuse de surélévations sans concertation (des coups juteux pour quelques promoteurs en mal de m2 à exploiter toujours plus chers, toujours plus douteux), à l’heure où la ville, disais-je, perd ses marques architecturales et paysagères tant et si bien qu’en haut lieu on la trouve « pas belle », voire carrément « laide », fallait-il baster sans réticence et laisser faire cette démolition?

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Le travail de dépeçage de l’ancienne maison de maître a commencé. On distingue encore
la qualité de la bâtisse à la volumétrie articulée par un jeu d’avant-corps soulignés de
chaînes et de pilastres d’angles ornementés. L’accent est mis sur la porte d’entrée surmontée
d’une marquise en ferronnerie. La cage d’escalier s’exprime en façade par une baie verticale
recoupée par les obliques des volées. Une remarquable toiture à la Mansart avec lucarnes en oeils
de boeuf.

Personne ne dira jamais assez haut et fort les qualités de l’objet architectural qui vient d’être réduit à néant, un objet en état de marche pour peu qu’on eût voulu la garder dans le circuit immobilier, pour peu que la dévastatrice et toute-puissante loi du profit ait été muselée. Que vaut au juste une maison de maître de la fin du XIXe siècle? Le prix du m2 de terrain au centre ville de Genève n’est rien en comparaison de tout ce qui a été perdu. Construite, aménagée et décorée selon des procédés à jamais révolus, cette maison avait de fait une valeur inestimable et personne ne pourra jamais restituer ce qui vient d’être mis à terre par la boule des démolisseurs.

Cette maison de maître de la fin du XIXe siècle marquait un angle significatif du tissu urbain au pied de l’imposant immeuble de rapport aux allures de château fort médiéval, construit par Théo Cosson et Pierre Déléamont en 1909. Son gabarit aux toitures étagées répondait en mode mineur aux toits découpés de l’immeuble de rapport qui lui tournait le dos. Cachée dans son écrin de végétation, entourée de son mur de clôture et de sa grille ancienne, elle dissimulait aux regards sa part de mystère et de rêve. Le bulldozer a sans état d’âme fait table rase de cette architecture « classique française », datable vers 1870-1880 et empreinte de l’esprit des maîtres de l’architecture genevoise de la fin du XIXe s comme Jacques-Elysée Goss ou Emile Reverdin.

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Dans le monde vorace qu’est devenu le nôtre, les « droits à bâtir » ne riment-ils pas trop souvent avec « permis d’enlaidir »? N’est-il pas temps que ces sacro-saints « droits » inaliénables soient pour le moins bridés par une conscience de « devoirs » qui leur seraient assortis? Dans une Genève qui ne cesse de se densifier jusqu’à l’asphyxie, chaque îlot arboré ménagé par une ancienne propriété est un microcosme propice à héberger une faune en voie de disparition, fonctionner comme un réel poumon de verdure et et entretenir un équilibre nécessaire entre tradition et modernité.

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12 réflexions sur « Genève détruit »

  1. Très respectueusement, permettez-moi de vous dire que le verbe « arborer » signifie dresser (un pavillon) ou montrer quelque chose. Il conviendrait donc d’utiliser le verbe « arboriser » qui, lui, signifie planter d’arbres…
    Bien à vous.

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  2. Quel dommage, mais ce n’est pas la seule vraie villa ,telle qu0n le conçoit et pas ces cabanes à lapins qui foisonnent dans la campagne genevoise et de France ine. Je ne sais quel énergumènes à accordé un permis de démolir ,il mérite d’aller au trou , pas beaucoup de respect pour le patrimoine, qu’est ce qu’on va laisser comme héritage à nos descendants dans les années futures , ces cubes que l’o voit fleurir , gris , un peu partout dans la campagne. Je la connaissais bien cette villa, avec ses frises contre les murs, ses vitraux, les fers forgés.; c’est sûr, on préfère aujourd’hui le plastique

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  3. Oui on détruit un peu (en fait pas suffisamment), mais c’est aussi pour permettre de continuer à vivre et à faire naitre l’avenir.
    En attendant, il manque toujours 20’000 logements à Genève…

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  4. Leila, Merci infiniment pour avoir pris le temps de nous faire remarquer à tous que certains éléments du patrimoine de notre belle ville se réduit a des construction sans trop de caractère ni de classe dans leurs design. Ceci est triste devoir que des maisons qui ont été si bien construites se font démolire.
    Ton article est excellent et en tant que Genevois vivant à l’étranger, je regrette de voir ceci et de voir que le système de démolire et construire neuf rendu si populaire par les Américains est aussi en Suisse!
    Ce qui me chagrine est le fait que beaucoup d’éléments et d’influences et pratiques provenant des années 60 des USA allant de la culture de la nourriture rapide, remplie de graisse et de préservatifs soient arrivées en Europe et particulièrement en Suisse et influence notre culture qui se perd dans un monde superficiel qui n’apprécie plus les matériaux nobles, et l’art du fer forgé, ou de l’ébénisterie pour la disponibilité du plastique!
    Merci pour ton article et pour nous donner un endroit où il est possible de dire ce que nous pensons du « progrès ».
    A bientôt et merci!
    Gaston

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  5. Pas sûr que cette démolition était le choix le plus judicieux?Etait-ce un gouffre énergétique?Etait-ce un vrai besoin ???Que va-t-il se passer maintenant?
    Toutefois,certains habitants sont très responsables de ses ratages permanents.En effet,en empêchant Genève de se densifier et/ou de créer de vrais beaux projets urbains,vivants,verts avec toutes les activités et l’animation que mérite une cité, le canton et la ville n’accouchent que de quelques ridicules projets disparates,triste et sans âme.Le tout souvent caractérisé par 1 voire au max 4 immeubles nouveaux par ci et par là sur de petites parcelles.Les ailes sans cesse coupées,Genève construit ou elle peut,au gré de l’abandon des recours et autres intérêts souvent trop personnels..Pour permettre à notre cité de se réinventer,de rentrer dans le 21ème siècle et de garder également le passé,il faudrait encore lui permettre de changer.En disant non constamment partout(ville,banlieue,campagne ect..),nous obligeons a démolir le passé avec les conséquences pas toujours heureuses que nous voyons au bord du lac,Plainpalais ect….Cependant,on ne peu pas avoir le beurre,l’argent du beurre et la crémière en plus.Une ville,cela vit,se développe ou meurt.De plus,des choses disparaissent,d’autres arrivent.C’est la vie,non???
    A ce jour,Genève a le choix :
    1) d’avancer, de s’embellir,de conserver et rénover son passé, de rayonner.
    2)elle peut aussi se développer d’une manière anarchiques,s’effriter,s’enlaidir et moisir entre oppositions diverses.
    3) Pire encore, nous pouvons la figer et par pur égoisme mettre la majorité de sa population au chômage.
    En dehors de ces choix pas de salut…
    Aux Genevois d’aimer vivre en ville, de participer et laisser enfin construire de vrais et beaux quartiers animés,plus denses et conviviaux.
    Finalement, on ne construit pas un avenir dans le regret du passé, la peur,l’immobiliste et les pieds et poings liés.Si cela avait été le cas dans le passé,aucun Genevois ne résiderait aujourd’hui à Genève.

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  6. Un grand merci, Leïla, d’avoir su mettre en mots ciselés les qualités à jamais perdues pour Genève du fait du bombardement de cette maison et du saccage de son écrin de végétation.
    Face à l’irrésistible attrait, pour le propriétaire des lieux, de l’argent de la promotion immobilière, nous aurions dû avoir un Conseil d’État conscient de ses responsabilités de protection du patrimoine et qui s’engage pour trouver d’autres solutions qu’une telle brutalité urbaine et le bétonnage banal sur sept niveaux en front immédiat de rue.
    Lorsque j’étais gamin, en remontant la route de Chêne à vélo, on sentait les effluves d’une maison de transformation de vins nommée je crois la Champagnisation S.A. de laquelle sortaient pour prendre leur pause des messieurs en long tablier noir. Les vapeurs pétillantes commençaient à enivrer le cycliste, mais par chance le jardin de la maison Salansonnet apportait soudain un vent de fraîcheur qui permettait de reprendre ses esprits.
    Cette fraîcheur-là, le soin avec lequel cette maison avait été conçue par un aïeul d’une de nos conseillères d’État (et démolie sous l’empire de celle-ci, comme le sera bientôt une autre oeuvre Deléamont au chemin Falletti), tout cela nous manquera.
    Reste à tirer les leçons de cette lamentable destruction à l’heure où nos autorités n’ont à la bouche que densification et « croissance ».
    PS: Seule consolation: que Marcelline, qui tenait le kiosque d’en face, n’ait pas vu cela depuis sa retraite valaisanne.

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  7. « Très respectueusement, permettez-moi de vous dire que le verbe « arborer » signifie dresser (un pavillon) ou montrer quelque chose. Il conviendrait donc d’utiliser le verbe « arboriser » qui, lui, signifie planter d’arbres… »
    C’est pas de chance, mais « arboré » comme adjectif signifie bien « planté d’arbres », pour un terrain, un lieu, etc. Ah, la polysémie…

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  8. Chantal Daumont écrit ceci:
    Genevoise, écrivain à mes heures de plaisir, je ne suis pas une pro de l’ordinateur encore moins des blogs!
    Cependant un article m’a interpellée puisque j’habite tout proche de l’Amandolier. Je suis outrée comment on enlaidit ma ville natale.
    Voyez ce que se passe au chemin du Velours…
    plus 13 chênes abattus pour y finir de construire 9 immeubles qui abriteront 290 logements. Et on circulera comment pour sortir sur Malagnou alors que c’est déjà la galère aux heures de pointe?
    également:
    maison du 22 chemin du Velours AVANT et APRES…
    en cours de demolition. combien d’arbres vont-ils être encore sacrifiés?

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  9. Merci de relever ces situations choquantes.
    En lien, je vous communique un rapport du Grand Conseil concernant le 9, rue Amiel.
    Vous constaterez qu’il se passe de drôles de choses dans certains départements et que l’argent arrange bien des choses!
    Amitiés

    Cliquer pour accéder à P01775A.pdf

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  10. La villa détruite était peut-être autrefois belle.Cependant, les alentours et la maison avait été si mal entretenus depuis si longtemps,qu’ils étaient devenus invisibles et quelconques.Genève est la grande ville en Suisse et ailleurs ou il y le plus de montagnes, de verdure et de parcs en son sein et aux alentours.Elle est aussi celle qui construit le moins et qui bloque tout depuis bien trop longtemps.Il serait enfin grand temps de laisser aussi une chance à cette petite ville de loger ses habitants, de se renouveler et de se créer un futur urbain contemporain digne de ce nom.C’est grâce à Genève que nous gagnons notre pain quotidien.Il est donc absurde d’opposer nature et emplois/constructions,argent et développement ou genre humain et arbres.Tout le monde est d’accord ici de protéger la qualité de vie mais celle-ci dépend aussi de l’emploi,des transports,des logements,de la prospérité,de l’attractivité de la région,de l’architecture de la ville, de son animation ect.Les blocages et complaintes incessants n’apportent que désolation,frustration,pollution,conflits stériles et ne profitent qu’à une minorité égoiste,figée et frileuse qui veulent faire de la ville ce qu’une ville n’est pas.Genève bouge enfin un peu aujourd’hui pour rattraper le laxisme ambiant assourdissant des 25 dernières années. De plus, si il y a bien une ville consciente de la protection de son environnement et de son patrimoine aujourd’hui,c’est bien Genève.C’est pourquoi,il ne faudrait pas que peindre le diable sur la muraille et vouloir immobiliser le canton à jamais.En effet, si tel était le cas,notre bien-être reconnu mondialement sera très prochainement qu’un vague souvenir.Finalement,aux Genevois de laisser enfin Genève respirer un peu mieux au lieu de l’étouffer et de la corseter constamment.Avoir un passé prospère c’est bien mais assurer le même présent et futur c’est encore mieux.Le regret,la nostalgie, la peur,le rejet sont des sentiments sombres et pas constructifs du tout pour un présent et un futur genevois que l’on veut prospère,généreux,convivial,lumineux,vert pour tous les habitants et visiteurs. Finalement,Genève a bien dormi sur ses lauriers et a pris un sacré coup de vieux dans les gencives et la tête.Il est vraiment temps de secouer un peu le cocotier.

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  11. La villa détruite était peut-être autrefois belle.Cependant, les alentours et la maison avait été si mal entretenus depuis si longtemps,qu’ils étaient devenus invisibles et quelconques.Genève est la grande ville en Suisse et ailleurs ou il y le plus de montagnes, de verdure et de parcs en son sein et aux alentours.Elle est aussi celle qui construit le moins et qui bloque tout depuis bien trop longtemps.Il serait enfin grand temps de laisser aussi une chance à cette petite ville de loger ses habitants, de se renouveler et de se créer un futur urbain contemporain digne de ce nom.C’est grâce à Genève que nous gagnons notre pain quotidien.Il est donc absurde d’opposer nature et emplois/constructions,argent et développement ou genre humain et arbres.Tout le monde est d’accord ici de protéger la qualité de vie mais celle-ci dépend aussi de l’emploi,des transports,des logements,de la prospérité,de l’attractivité de la région,de l’architecture de la ville, de son animation ect.Les blocages et complaintes incessants n’apportent que désolation,frustration,pollution,conflits stériles et ne profitent qu’à une minorité égoiste,figée et frileuse qui veulent faire de la ville ce qu’une ville n’est pas.Genève bouge enfin un peu aujourd’hui pour rattraper le laxisme ambiant assourdissant des 25 dernières années. De plus, si il y a bien une ville consciente de la protection de son environnement et de son patrimoine aujourd’hui,c’est bien Genève.C’est pourquoi,il ne faudrait pas que peindre le diable sur la muraille et vouloir immobiliser le canton à jamais.En effet, si tel était le cas,notre bien-être reconnu mondialement sera très prochainement qu’un vague souvenir.Finalement,aux Genevois de laisser enfin Genève respirer un peu mieux au lieu de l’étouffer et de la corseter constamment.Avoir un passé prospère c’est bien mais assurer le même présent et futur c’est encore mieux.Le regret,la nostalgie, la peur,le rejet sont des sentiments sombres et pas constructifs du tout pour un présent et un futur genevois que l’on veut prospère,généreux,convivial,lumineux,vert pour tous les habitants et visiteurs. Finalement,Genève a bien dormi sur ses lauriers et a pris un sacré coup de vieux dans les gencives et la tête.Il est vraiment temps de secouer un peu le cocotier.

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  12. A Romain, à tous les adeptes de l’obsolescence programmée et du néo-capitalisme privé de culture, qui, à force de secouer le cocotier, recevront bien sur la tête une noix de coco à leur tour, lisez l’excellent livre du jeune philosophe Harold Bernat, « Vieux Réac. Faut-il s’adapter à tout? » (Flammarion, Antidote, 2012). On y stigmatise le changement pour le changement, qui ne débouche sur rien d’autre que lui-même, sans accroître la qualité de vie, ou pire, en la déqualifiant.
    Paradoxalement « bouger pour bouger » … et finalement gesticuler (!) est l’attitude passéiste, encouragée par les lobbys du monde industriel, qui va à l’encontre du respect des valeurs de l’existant et des préoccupations environnementales. L’heure n’est plus à la table rase: c’est cela qui est complètement démodé.
    A l’heure où la Maison de l’Architecture, qui accomplit un admirable travail de sensibilisation, expose au Pavillon Sicli le travail de Sou Fujimoto, jeune architecte tokyoïte internationalement reconnu, auteur d’un ouvrage intitulé « Primitive Future », dont la lecture est aussi des plus recommandables, c’est tout le discours primaire tenu sur la modernité et la modernisation que vous prônez, Romain, qui appartient au Passé.
    Enfin le futur urbain auquel vous aspirez devrait passer par une vraie réflexion urbanistique digne de ce nom et qui ne consiste pas uniquement en des opportunités de parcelles à obstruer au coup par coup, sans vision d’ensemble, ni stratégie ambitieuse.

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